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collins. Butler.

mêmes difficultés que dans la constitution de la nature, » et il ajoute pour son compte, en retournant la pensée d’Origène : « Si l’on refuse d’admettre que l’Écriture sainte vienne de Dieu à cause de ces difficultés, il faut pour la même raison refuser d’admettre que le monde soit l’œuvre de Dieu. » Mais si le cours de la nature, tel que l’expérience le fait connaître, est analogue au plan providentiel que la révélation nous découvre, il y a une forte présomption pour que l’un et l’autre aient le même Auteur. Comme on le voit, Butler ne s’adresse pas dans ce livre aux athées, mais à ceux-là seulement qui croient à l’existence d’une cause intelligente de l’univers. Il veut simplement leur faire avouer que, s’il y a quelque ressemblance entre ce que nous trouvons dans la nature et ce que la religion nous fait croire et espérer, nous ne devons pas plus nous moquer, à priori, d’un système religieux, qu’il soit naturel ou révélé, que de la nature elle-même.

Alors il expose successivement les raisons qui rendent probables l’immortalité de l’âme, une répartition équitable, dans la vie future, des récompenses et des peines, l’action présente du gouvernement de Dieu, notre condition d’être soumis à une épreuve, à un apprentissage de la vie à venir, et par suite le devoir que nous avons de devenir meilleurs avec la liberté d’y travailler.

Voilà pour la religion naturelle, qui fait le sujet de la première partie, On ne saurait admettre que Dieu gouverne la nature sans admettre qu’il gouverne aussi le monde moral et sans arriver à ces conclusions probables que nous venons d’énumérer. S’il se rencontre çà et là, et elles ne manquent pas, certaines difficultés, Butler insiste sur une idée qui lui est familière, à savoir que nous en prenons trop à notre aise avec la sagesse de Dieu, que nous avons tort de prétendre tout expliquer, qu’il s’agit moins de se livrer à de stériles recherches que de pratiquer le bien, et que nous en savons assez pour nous conformer à la loi morale. La question du mal, si agitée de son temps, le préoccupe par suite moins qu’on ne croirait, et celle de la liberté lui paraît toute résolue par des considérations morales. Il semble avoir eu plus de doutes ou de curiosité au temps de sa correspondance avec Clarke ; il recommande aujourd’hui l’action, la pratique, de préférence à toutes ces discussions interminables où les beaux esprits, les beaux parleurs de la cour ou de la ville perdent si volontiers leur temps. Mais lorsqu’il s’agit d’une observation purement psychologique, propre à confirmer son enseignement moral, il la développe en maître, et les pages qu’il consacre aux habitudes, dans le chapitre V, sont parmi les meilleures de son livre.

Dans la seconde partie de ce traité, il veut prouver que la religion naturelle ne suffit pas, qu’il faut aller jusqu’à la religion révélée, jusqu’au christianisme. Il essaye de le faire en développant la thèse que le christianisme est comme une réédition nécessaire de la religion naturelle et qu’il introduit avec l’idée d’un médiateur la notion de nouveaux devoirs, qu’il à par suite assez d’importance pour qu’on ne le rejette