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pas à la légère. Avec des arguments en partie philosophiques, en partie et surtout théologiques, dont quelques-uns justifieraient peut-être le soupçon, auquel il n’a pas échappé, d’avoir penché vers le catholicisme, il s’efforce de montrer qu’il y a plus de probabilité en faveur de la vérité que de la fausseté de la religion chrétienne, et que nous ne devons pas, dans la pratique, alors qu’il s’agit de tels intérêts, prétendre à plus de certitude : ce serait vouloir comprendre la nature de Dieu et pénétrer ses desseins éternels. « L’objet de ce traité, dit-il, n’est pas de défendre l’honneur de Dieu, mais de montrer les devoirs de l’homme : non de justifier sa Providence, mais d’enseigner ce que nous avons à faire. » Et plus loin : « La question pour un homme raisonnable n’est pas : l’évidence de la religion est-elle entière ? mais bien : cette évidence, au point de vue de notre conduite, est-elle suffisante pour que la raison nous oblige, tout compte fait, à être prudents ? »

Il est malaisé de chercher querelle à un auteur si modeste. Mais on comprend l’ironie de lord Bolingbroke. « La reine, dit-il, étudie avec beaucoup d’application l’Analogie de Butler. Elle entend à merveille toute la suite du raisonnement et conclut, avec l’auteur, qu’il n’est pas si clair, après tout, qu’il n’y ait rien dans la religion révélée ! Avec des encouragements venus de si haut, il est impossible que la métaphysique et la plus sublime théologie ne fassent pas de grands progrès. »

À l’Analogie Butler avaient joint deux dissertations qui n’avaient pas trouvé place dans le corps de l’ouvrage, l’une sur l’Identité personnelle et l’autre sur la Vertu.

La question de l’identité personnelle était alors à la mode. Mais notre philosophe y voit plutôt une question de mots qu’un sujet de controverses sérieuses. Il est de l’avis de Shaftesbury, qui ne veut pas douter de son existence, de son identité. Il n’admet pas que la conscience constitue cette identité ; elle ne fait qu’en témoigner, mais elle la suppose, comme la connaissance de la vérité suppose l’existence antérieure du vrai. Il ne croit pas avec les matérialistes qu’elle ait pour fondement la permanence de la vie, de l’organisation ; il aime mieux la définition de Locke : L’identité personnelle est la permanence d’un être raisonnable. Mais il ne comprend pas la difficulté que Locke et Collins, après lui, ont soulevée en prétendant que notre conscience en différents moments n’est pas la même conscience. Il en résulterait qu’il n’y a plus d’identité possible et que nous devons nous désintéresser de ce qui est arrivé ou de ce qui peut nous arriver plus tard, comme s’il s’agissait d’autres personnes. Nous n’aurions pas non plus à nous préoccuper de la possibilité d’une vie future, qui, en réalité, ne serait pas pour nous. Mais il est évident, sans insister davantage, que, nous devrions douter de la véracité de toutes nos facultés intellectuelles, si nous ne pouvions nous fier ni à la conscience ni à la mémoire, et c’est assez de ces conséquences sceptiques, aux yeux de Butler, pour rendre toute sa force première à la croyance naturelle en notre identité, telle que la mémoire et la conscience nous la suggèrent.