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collins. Butler.

La dissertation sur la vertu résume ses idées en morale et nous ramène à ses sermons. De tous ceux qu’il avait prononcés, pendant huit ans, à la chapelle des Archives, il n’en : a publié que quinze, choisis, dit-il, au hasard. Depuis 1837, ils sont devenus classiques en Angleterre. Mackintosh, qui n’est pas partial, prétend qu’il a « appris toute sa philosophie » dans les trois premiers, qui traitent de la nature humaine. Les autres sont aussi des leçons de philosophie morale plutôt que des sermons, au sens théologique du mot. On n’y trouve pas un système à proprement parler ; Butler semble avoir connu ce mot de Shaftesbury : « Il n’y a’pas de moyens plus ingénieux de devenir fou que de se faire un système. » Mais ses aperçus, qu’il faut chercher un peu partout dans son œuvre et surtout dans ses sermons, ont la valeur d’une doctrine et lui font une place à part.

li est, comme on peut s’y attendre, l’adversaire résolu de Hobbes, de Mandeville et de Locke, autant du moins que ce dernier est le disciple de Hobbes. Il proclame l’existence d’une faculté naturelle, la conscience, qui nous permet de discerner le bien du mal et doit exercer sur notre conduite une autorité souveraine. L’observation psychologique lui sert à démontrer cette vérité ; elle lui fournit aussi ses arguments contre la doctrine de l’intérêt. Il adopte la maxime stoïcienne qu’il faut suivre la nature, à la condition de bien connaître cette nature, et dans cette étude il prend pour guide Aristote. C’est aussi ce philosophe, semble-t-il, qui lui enseigne dans quelle mesure on peut confondre les idées de bien et de bonheur.

On voit en quoi Butler diffère de la plupart des moralistes anglais, ses contemporains ou ses successeurs. Sans doute il préfère lui aussi la méthode expérimentale à la méthode à priori ; ses analyses psychologiques ne manquent ni d’exactitude ni de finesse et peuvent se comparer à celles des philosophes de l’école écossaise. Mais il distingue profondément l’amour de soi des affections désintéressées, qu’il regarde comme tout aussi naturelles à l’homme ; il est frappé surtout de la suprématie de la conscience morale sur nos diverses facultés, et personne peut-être, Kant excepté, n’a reconnu et signalé avec autant de force l’autorité du devoir tel que la conscience nous le révèle. Faut-il lui reprocher d’avoir simplement constaté des faits actuels sans chercher à les expliquer, d’avoir cru trop facilement à un pouvoir inné en chacun de nous de distinguer le bien du mal ? Autant vaudrait, il nous semble, lui reprocher de savoir pas prévu et réfuté d’avance certaines théories toutes récentes. Ce serait oublier aussi qu’il était moins métaphysicien que moraliste. Il est encore plus préoccupé de faire pratiquer le bien que d’en rendre compte. Dans un de ses sermons sur l’ignorance de l’homme, il montre combien l’accroissement de nos connaissances spéculatives servirait peu à notre bonheur. Il n’y a qu’une science qui soit vraiment utile, celle qui nous apprend à devenir meilleurs. L’homme doit se former à la résignation, à celle du jugement comme à celle de la volonté.