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titude pratique, sans chercher à s’élever jusqu’à la clarté métaphysique. Il ne place pas tellement haut son idéal de la certitude, que cet idéal lui paraisse inaccessible à la prise de nos facultés. Il n’éprouve pas un tel besoin de concilier dans une synthèse supérieure les formes diverses de la connaissance, qu’il s’embarrasse beaucoup des apparentes contradictions de la vérité morale ou métaphysique et de la vérité scientifique. Les méthodes consacrées par l’autorité de la tradition et de l’expérience lui paraissent toujours les routes les plus sûres pour arriver au but poursuivi : il ne se préoccupe que de les rendre plus commodes, plus courtes. C’est ainsi qu’Hamilton ne touche à la logique formelle d’Aristote, que pour la simplifier et la rendre d’un usage plus facile ; que Boole et Stanley Jevons ne la modifient profondément par l’introduction des mathématiques, qu’en vue de donner la promptitude et la certitude du calcul aux opérations déductives de la pensée. Et de même Stuart Mill, Bain, Spencer ne font guère dans leur curieuse réforme de la logique inductive que rendre à la fois plus rigoureux et plus précis des procédés de la méthode de Bacon, sans songer à les étendre par des applications nouvelles et sans s’attarder beaucoup à discuter les titres de la certitude inductive. Il semble que le génie anglais, à part la mémorable exception de Hume, soit défendu contre les inquiétudes de la pensée métaphysique, c’est-à-dire contre le doute qui porte sur les principes mêmes de la connaissance, par la solidité de son bon sens conservateur ou l’énergie de ses convictions religieuses[1]. Quelques arguments que paraissent fournir au scepticisme certaines assertions d’Hamilton, de Stuart Mill et de Spencer, on peut dire que ni les logiciens anglais de l’école associationiste, ne ceux qui se rattachent à la doctrine de l’évolution, ne soupçonnent ou du moins ne s’appliquent à résoudre les problèmes métaphysiques que soulèvent leurs principes divers.

Les logiciens allemands, au contraire, ont gardé de la haute culture philosophique de leurs devanciers l’intelligence et le goût de ces problèmes. Ils aiment à se demander qui de Kant ou de Hegel a raison ; ou même si les doctrines diverses de ces penseurs sont aussi incompatibles qu’il paraît au premier abord, et s’il n’est pas permis, en un certain sens, de soutenir avec Hegel que la science des lois de la pensée est aussi celle des lois de l’être, alors qu’on maintient avec Kant que la réalité démontrable n’est autre que le produit même de la pensée. Les penseurs dont nous parlons ne semblent pas moins

  1. Voir Stanley Jevons, Principles of logic (3e édition), les curieuses déclarations contenues pages xi et xxvii de la préface.