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et celle des évolutionistes. Et si nous laissons de côté les philosophes et les logiciens, pour écouter les maîtres autorisés de la science : Dubois-Raymond et Helmholtz et Virchow ne se sont-ils pas complu, en maintes circonstances, à faire ressortir le caractère indéterminé et hypothétique des lois affirmées par Hæckel, en même temps que les bornes inévitables de toute explication scientifique ? Hæckel n’a donc pas réussi dans sa tentative ; et l’induction qu’il pratique obéit partout à la sollicitation des causes finales, tandis que l’induction du vrai physicien ne connaît et n’applique que les règles du pur mécanisme. Il n’en reste pas moins vrai que le devoir de la science des organismes est de se rapprocher de plus en plus de ces règles. Le darwinisme marque un pas dans cette voie : son erreur est de croire qu’il a touché le but.

Il n’en a pas moins porté un coup sensible aux dogmes scientifiques de la distinction originelle des espèces, et paraît bien avoir préparé, sinon assuré déjà le triomphe en morphologie du grand principe de la filiation ou de la descendance. La méthode descriptive, la seule que connussent les classifications du passé, a désormais fait son temps dans les sciences naturelles ; et la méthode génétique, celle qui se préoccupe moins de marquer les ressemblances que la filiation des espèces, l’emporte de plus en plus dans les préférences des savants. L’ancienne doctrine ne croyait pouvoir mieux faire ressortir les rapports des êtres, qu’en disposant la classification comme une échelle dont les degrés les plus rapprochés étaient occupés par les espèces les moins dissemblables. La théorie de la descendance a fait abandonner la figure consacrée de l’échelle zoologique. Selon que ses partisans admettent ou nient que la même espèce a pu faire son apparition que sur un seul point de l’espace et du temps, selon qu’ils professent, comme on dit, l’hypothèse monophylétique ou la théorie contraire, ils comparent le règne des organismes à un arbre immense, dont les espèces sont les branches et les races les rameaux moins importants, ou à une sorte d’éponge gigantesque dont les troncs primitifs et distincts, par suite de la multiplicité des organes radicaux, entremêlent à l’infini les branches et les rameaux qu’ils produisent. Quoi qu’il en soit de ces images, à l’aide desquelles le savant essaye de rendre sensible à l’imagination la diversité harmonieuse des œuvres de la nature vivante, la doctrine de la descendance a obligé les logiciens à changer les procédés consacrés de la classification. C’est ainsi que la logique inductive a mis à profit les nouveautés heureuses, aussi bien qu’elle avait su réfuter les erreurs de la méthode appliquée par la doctrine de l’évolution à l’étude des organismes.