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NOLEN. — les logiciens allemands

Mais le monde organique ne peut fixer exclusivement la curiosité des savants ; et la méthode inductive, dont les progrès des études biologiques attestent les vertus, doit s’essayer aussi sur le monde si attachant des faits psychologiques. Ces derniers ne sont-ils pas associés étroitement aux phénomènes organiques, puisque la pensée et la vie ont d’étroites et constantes relations ? Comment admettre que les uns soient plus réfractaires que les autres aux lois du mécanisme, aux procédés de l’induction expérimentale ? De là les tentatives d’une méthode nouvelle, celle de la psycho-physique.

Les savants allemands se sont élancés les premiers dans la voie inexplorée. Fechner et Wundt ont cru trouver dans la correspondance des faits psychiques et des faits physiologiques, des mouvements de l’organisme cérébral par exemple et des phénomènes de la pensée, un moyen de soumettre les premiers au calcul et à l’expérimentation, et de les ramener aux règles du déterminisme mécanique. C’est ainsi qu’ont pris naissance tant d’ingénieuses théories sur les facultés de l’esprit, qui n’ont certes pas dissipé tous les mystères de la vie psychique, mais ont répandu sur elle des lumières inespérées, et l’ont éclairée à des profondeurs et dans des replis subtils où n’auraient jamais pu atteindre ni la méthode française de l’observation directe par la conscience, ni la psychologie anglaise de l’association. Les objections n’ont pas manqué sans doute aux partisans de la psycho-physique ; et l’on se rappelle quelle vive et instructive polémique a suscitée en France la loi célèbre de Fechner sur le rapport de la sensation et de l’excitation. Les logiciens ont dû faire entendre leur voix dans le débat ; et Lotze entre autres, dans son excellente Logique, n’hésite pas à reconnaître, sous certaines réserves, la légitimité de la méthode des psycho-physiciens, qu’il appelle un raisonnement par proportion[1] (Schluss durch Proportion). Quelque difficulté que présente la détermination d’une mesure, aussi bien de l’excitation que de la sensation, et par suite la fixation d’une proportion définie entre ces deux termes, on ne saurait contester la possibilité de mesures approximatives, et l’utilité de la méthode qui permet de les obtenir. Leibniz n’approuvait-il pas qu’on eût recours à l’étude des causes efficientes, c’est à-dire à l’analyse des mouvements de la matière, partout où cela peut servir à expliquer ou à gouverner les phénomènes, quels qu’ils soient. Ne soutenait-il pas encore que nos sentiments et nos pensées sont tous associés par des lois nécessaires à des mouvements déterminés de l’organisme. « On s’est prostitué, s’écriait-il, en

  1. Logik, p. 142.