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voulant prouver le contraire ; et on a seulement préparé matière de triomphe à l’erreur, en se prenant de ce biais[1]. » Le logicien doit se souvenir de ces fortes paroles du grand idéaliste, lorsqu’il veut apprécier la valeur de la psycho-physique, et mesurer le rôle et ses limites de la méthode expérimentale en psychologie.

À côté des faits affectifs et des perceptions, sur lesquels ont surtout porté jusqu’ici les essais de la psycho-physique, l’âme humaine présente des faits encore plus rebelles au premier abord aux explications de la science, puisqu’ils ne semblent susceptibles ni d’être mesurés ni d’être prévus : je veux dire les déterminations de la volonté. On a essayé pourtant de les soumettre au calcul des probabilités, dont Laplace et Poisson s’étaient si bien servis déjà, pour ramener à une certaine régularité les phénomènes naturels, que l’ignorance attribue au hasard et que la science n’est pas encore en état de rapporter à leurs causes. L’application de la loi des grands nombres a révélé à Quételet et à tous ceux que se sont à sa suite engagés dans ces recherches, que le monde des faits volontaires a ses règles comme le monde de la matière ; et que les résolutions les plus réfléchies comme les plus capricieuses du libre arbitre y obéissent aux lois d’un déterminisme impérieux. Les rapports constatés entre la nature et la fréquence des actes criminels, vertueux ou indifférents, et l’âge, le sexe, la nationalité des individus, pour ne citer que ces exemples, méritent-ils véritablement d’être érigés en lois ? La question n’intéresse pas moins le logicien que le moraliste. Aussi la méthode des modernes statisticiens a-t-elle été l’objet de discussions passionnées et d’appréciations contradictoires.

Toutes les tentatives faites pour étendre l’empire des principes et des méthodes du mécanisme scientifique aux domaines divers de la réalité ont permis à une science nouvelle de se constituer. C’est l’honneur impérissable du fondateur du positivisme, c’est la partie originale et durable de l’œuvre d’Auguste Comte, qu’il ait le premier tracé le cadre, pressenti ou indiqué les méthodes, et découvert quelques-unes des lois importantes de la sociologie. Mais il fallait pour que l’étude des sociétés humaines eût droit de cité dans la science rigoureuse, que les sentiments et les actions des hommes fussent reconnus accessibles, au moins dans une certaine mesure, aux prises du déterminisme scientifique. La psycho-physique et la statistique ont commencé à le démontrer. Des disciples éminents ont repris en Angleterre la pensée d’Auguste Comte. Après Stuart Mill, Spencer et Cairn ont enrichi la sociologie de toutes les conquêtes des sciences inductives. En Allemagne, Lilienfeld et Schæfle ont

  1. Œuvres de Leibniz, éd. Erdm., p. 185.