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divers règne une unité, le moi conscient, qui se révèle à lui-même par une aperception indivisible. Mais nous croyons avec Hume que cette unité d’aperception ne trouve non pas dans la conscience instantanée, mais seulement dans la réflexion subséquente qui se produit sur l’acte de conscience. Et cette unité se réduit au pouvoir d’établir une connexion entre les souvenirs de deux sentiments simultanés Un sentiment, à l’instant où il existe, est an und für sich et nullement en et pour moi ; c’est seulement lorsque, grâce à la réflexion, je me le rap pelle comme mon sentiment, que s’élève, outre sa répétition affaiblie, tout un ensemble de connexions avec le cours général de ma conscience. D’ailleurs ce souvenir, en tant qu’il est en lui même un sentiment, est un absolu, Ding an sich. La personnalité consiste dans le fait que ces connexions entre les images affaiblies des sentiments passés sont assemblées en un même cours ; elle est donc une chose relative, une propriété de ce complexe de sentiments nouveaux et de répétitions plus faibles des précédents, qui est appelé conscience.

Etablir ici que la complexité de la conscience a sa parallèle dans la complexité de l’action cérébrale serait bien superflu. Signalons seulement cette conséquence des découvertes de Müller et d’Helmholtz relatives à la sensation : que les sentiments distincts sur qui la mémoire a prise correspondent à des changements dans une portion du cerveau et du cerveau seul. Ainsi, dans le cas de la vision, il y a un message adressé des choses extérieures à la rétine et envoyé de là quelque part dans le nerf optique ; or nous pouvons frapper ce télégraphe à n’importe quel point et produire la sensation visuelle sans aucune impression sur la rétine. D’où il paraît suivre que ce qui est connu directement est ce qui prend place au bout intérieur de ce nerf ; que la conscience de la vue est parallèle aux changements dans la matière grise à l’extrémité interne, non aux changements dans le nerf lui-même ou dans la rétine. Ce qui nous amène enfin à dire que comme votre conscience est formée de sentiments élémentaires groupés bien diversement (faits éjectifs), ainsi les actions du cerveau comprennent des actions plus élémentaires (faits objectifs) groupés d’une façon analogue à ces sentiments. Le parallélisme est complet, et tout sentiment, si élémentaire soit-il, correspond à un changement spécial, comparativement simple, de matière nerveuse.

De ces considérations, d’importantes propositions dérivent.

Et d’abord admettrons-nous qu’un sentiment élémentaire puisse exister par lui-même sans appartenir à une conscience ? Oui, si nous voulons être fidèles à la doctrine de l’évolution. Si cette doctrine est vraie, nous devrons avoir tout le long de la généalogie humaine une