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LYON. — le monisme en angleterre

série de degrés imperceptibles rapprochant de nous la matière inorganique. Aux membres les plus lointains de la série il nous faut accorder la conscience, une conscience, toutefois, bien plus simple que la nôtre. Où nous arrêter dans cette régression ? Tant que les organismes offrent une certaine complexité, nous inférons une conscience ; à mesure que l’organisme se simplifie, nous inférons insensiblement que la complexité de la conscience diminue. Mais faisons un saut, jusqu’aux mollusques membraneux, par exemple : là, nous ne sommes plus admis à inférer une conscience. Et pourtant non seulement, en fait, il est impossible de désigner la place où une brisure soudaine aurait lieu, mais il est contraire à toute méthode rationnelle de supposer une aussi brusque solution de continuité.

Pour sortir de cette difficulté, il n’est qu’une issue.

La conscience est un complexe de faits éjectifs, de sentiments simples, ou plutôt de ces éléments plus reculés qui ne peuvent pas être sentis, mais dont est composé le sentiment le plus rudimentaire. Ces faits éjectifs longent l’action de tout organisme, si élémentaire soit-il ; mais c’est seulement lorsque l’organisme matériel a atteint une certaine complexité de structure nerveuse que le complexe des faits éjectifs réalise lui-même ce mode d’agencement appelé conscience. Mais comme la ligne ascensionnelle est ininterrompue, comme elle doit aboutir à la matière inorganique, nous n’avons pas le choix : force nous est d’admettre que tout mouvement de matière est accompagné de quelque événement éjectif qui pourrait faire partie d’une conscience.

D’où suivent deux corollaires : 1o Un sentiment peut exister par lui-même sans faire partie d’une conscience. Tout sentiment (ou élément éjectif) est une chose en soi. Sentitur est exclusivement ce qu’on en peut dire. 2o Ces éléments éjectifs correspondant aux mouvements matériels sont régis dans leurs relations de coexistence et de séquence par les pendants des lois physiques, sans quoi la corrélation serait détruite.

Cet élément dont nous venons de voir qu’était formé le plus rudimentaire sentiment, appelons-le esprit-fonds (mind-stuff, expression intraduisible encore). Une mouvante molécule de matière inorganique ne possède ni âme ni conscience, mais elle porte une petite quantité d’esprit-fonds. À mesure que la matière s’organise, jusqu’à former un vivant cerveau humain, l’esprit-fonds correspondant se complique lui aussi jusqu’à prendre la forme d’une conscience humaine douée d’intelligence et de volonté.

Nous voici arrivés au dénouement. Mais approfondissons encore.

Supposons que je voie un homme regarder un chandelier. Une image