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LYON. — le monisme en angleterre

mêmes et de l’esprit fonds en dehors d’eux, à peu près comme un miroir réfléchit son image dans un autre miroir à l’infini. Cette imparfaite représentation est ce que l’on appelle un univers matériel. C’est dans l’esprit d’un homme une peinture du réel univers d’esprit-fonds.

Nous pouvons formuler ainsi les deux propositions qui concentrent toute cette exposition :

La matière est une peinture mentale où l’esprit fonds est la chose représentée.

La raison, l’intelligence, la volonté sont des propriétés d’un complexe formé d’éléments eux-mêmes non rationnels, non intelligents, non conscients.

II

Telle est, fort abrégée et dénudée des analyses incidentes qui en atténuaient la sévérité et la sécheresse, la dialectique hardie et subtile, ambitieuse et terre à terre tout ensemble, qu’a disposée, avec un art remarquable, ce métaphysicien de passage. Ne l’oublions pas en effet, W. K. Clifford ne faisait pas profession de philosophie ; spéculer sur la nature des choses lui était un divertissement (Pascal). On retrouve, on devinerait le mathématicien dans cette méthode déductive dont il use, dans ce mode d’échelonner, more geometrico, ses théorèmes. Mais ce mathématicien est informé des hypothèses de la physiologie spéculative et ce n’est pas la moindre originalité de son ouvrage que ces démonstrations serrées et rigoureuses, enchâssant ici les données de l’évolution, là les belles découvertes d’Helmholtz sur le calcul sensationnel, travaux ordinairement apportés comme une preuve directe en faveur des prétentions du phénoménisme, soient alléguées pour établir quoi ? Que les choses en soi sont esprit.

Dans une sorte de post-scriptum, le professeur Clifford a semblé soucieux d’invoquer en faveur de ses vues d’imposants patronages : en première ligne, celui de Kant, qui aurait, selon lui, donné quelque part à entendre que la chose en soi pourrait bien être de même nature que l’esprit. Mais il n’est pas douteux que ce ne soit là un simple accident de pensée ; toute la Critique de la raison pure proteste contre toute tentative de détermination des réalités en soi, et Kant aurait lui-même dénoncé et trahi son inconséquence lorsqu’il a dit[1] que désirer connaître les noumènes serait vouloir être non plus des

  1. Critique de la raison pure, I, l. 1, ch.  8.