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hommes, mais des êtres dont nous ne pouvons pas même savoir s’ils sont possibles.

La doctrine de l’esprit-fonds a-t-elle été, comme croit bien trop modestement son auteur, implicitement admise et exposée par Wundt ? — Ce qui est sûr, c’est que ce dernier s’est défendu d’avoir, dans ce qu’il a pu suggérer d’analogue, prétendu tracer autre chose qu’une hypothèse complémentaire du concept usuel de substance[1].

Il en est tout autrement de la parenté remarquable qui existe à bien des égards entre la philosophie de l’esprit-fonds et le panthéisme de l’Éthique. Cette ressemblance avec Spinoza a été indiquée par un décidé partisan de l’essai du professeur Clifford, par M. Frankland ; elle est en définitive reconnue dans l’un des plus récents et des plus savants ouvrages qui aient été écrits sur le grand cartésien[2]. Dans son beau livre sur Spinoza, M. Pollock déclare, en effet, que c’est à la théorie de l’esprit-fonds que ce maître aurait abouti, sans l’influence du vieux dualisme issu de Descartes. À l’en croire, en effet, des attributs en nombre infini que Spinoza prête à la substance un seul est nécessaire et rend tous les autres superflus, c’est la pensée. En vain lui opposerait-on cette diversité des modes innombrables qu’enferme chacun des innombrables attributs de la substance. M. Pollock admet que tout mode de chacun des attributs autres que la pensée possède pour lui-même un mode de pensée, sorte d’esprit ou d’idée. De la sorte un mode spirituel ou idée accompagnerait tout mode, quel qu’il soit ; il le longerait, comme dirait, comme a dit Clifford (go along with).

Il est vrai qu’une grosse objection a été proposée. Spinoza, a-t-on remarqué, insiste sur l’absence de toute connexion entre les divers attributs ; ainsi l’exige la consistance du système. Or, suivant son interprète, les modes posséderaient tous des modifications de la pensée ou idées, et par là même seraient reliés les attributs. À moins que l’on ne prétende que ces modifications de pensée n’ont rien de commun ni entre elles ni avec ce que nous entendons par pensée. Mais alors de quel droit désigner d’un nom commun des mots qui ne se ressemblent en rien ? Appeler pensée ce qui diffère du tout au tout de la pensée, c’est parler pour ne rien dire, c’est du pur psittacisme. La difficulté avait déjà été, sous une autre forme, proposée par Tschirnhausen : Spinoza, observait-il, professe que les attributs sont en nombre infini ; or il entend par attribut ce que l’entendement perçoit relativement à la substance. Comment se fait-il donc

  1. Phys. psychol, 2te Aufl., Bd. II.
  2. Spinoza, by Frederick Pollock, London, 1880.