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LYON. — le monisme en angleterre

que, de l’infinité d’attributs existant, notre entendement n’en perçoive hors de lui qu’un seul, l’étendue ?

L’objection est sérieuse, elle n’est pas insurmontable, et M. Pollock pourrait, ce semble, répondre avec avantage. Il est d’abord un point sur lequel aucun doute ne saurait s’élever : la pensée, dans la cosmologie de l’Éthique, coexiste avec l’étendue, l’accompagne, la longe ; toute la théorie spinoziste de l’union de l’âme et du corps est fondée sur ce principe. Pourquoi n’accompagnerait-elle pas tous les autres attributs, comme elle fait l’extension ? De deux choses l’une : Ou la pensée attribut sera sans relations d’aucune sorte avec quelque attribut que ce soit ; mais alors de quoi sera-t-elle pensée, car enfin il faut bien qu’elle pense quelque chose ? D’ailleurs cette alternative est interdite, puisque la pensée est posée par Spinoza comme parallèle à l’étendue. Or on ne s’expliquerait pas cette exception en faveur d’un attribut, de préférence à tous les autres. Ou bien la pensée est l’attribut réflecteur de tous les autres ; telle est en effet sa nature, puisque le propre de l’être est l’intelligibilité. Alors il faut accorder qu’elle coïncide avec tous les attributs, quels qu’ils soient. Quant au doute de Tschirnhausen, concernant la débilité de la pensée humaine, nous le dissiperons en lui opposant que le champ objectif de notre intelligence à nous est actuellement limité ; la pensée de l’être parfait seul embrasse, contient la plénitude de l’être ; la nôtre n’en parcourt qu’une section. Mais la pensée en elle-même n’en est pas moins parallèle à toutes les formes du réel ; elle en possède l’ubiquité. Que Spinoza pousse dans cette voie, qu’il dérobe de derrière la pensée l’être, et l’on a la conclusion de W.-K. Clifford.

Une analogie non moins saisissante est celle que M. Whittaker a cru apercevoir entre la théorie de l’esprit-fonds et le système de Schopenhauer[1]. Il est certain que les points de contact abondent. Une même inspiration physiologiste paraît avoir présidé à l’une et l’autre conception des choses. Schopenhauer rappelait volontiers qu’il n’avait fait que traduire en langue philosophique les idées de Cabanis et de Bichat. Lui aussi il a entrepris de résoudre l’esprit en des éléments sous-conscients, soustraits au plein jour de la connaissance ; de même l’esprit-fonds se réduit à des éléments qui, agencés, constituent bien la conscience, mais sont par eux-mêmes inconscients. Schopenhauer aussi pour désigner ce substrat essentiel des choses qui gît sous les apparences perçues, s’est mis en quête d’un terme qui fit bien antithèse avec la faculté même de connaître, avec l’intelligence : il a choisi la volonté. W.-K. Clifford, en préférant

  1. Mind-stuff from the historical point of view (Mind, octobre 1881).