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à la volonté le sentiment, adopte une expression plus conforme aux récentes découvertes de la science.

On pourrait se livrer à bien d’autres rapprochements. M. Whittaker, désireux de trouver à la doctrine de l’esprit-fonds des devancières, trace un assez long historique, dont la conclusion est que la nouvelle conception peut être considérée comme la formule finale d’une méta-physique assez au point pour se conformer aux méthodes et aux résultats de la science physico-psychologique, assez forte et dogmatique pour être maintenue contre le scepticisme critique, ce que ne peuvent guère ni le « réalisme transformé » de Spencer ni le « réalisme raisonné » de Lewes. L’admiration de M. Whittaker, loin d’être compromettante pour l’Essai, se fait toute prudence, toute sollicitude. Il se préoccupe uniquement d’en adoucir la nouveauté et l’imprévu, de lu désigner une place, — la bonne place, — dans le développement processif de la pensée spéculative.

D’autres admirations furent moins avisées et, par leur promptitude à élargir encore les principes suffisamment étendus sur lesquels l’auteur de l’Essai s’était appuyé, métamorphosèrent une déduction savante en une sorte de roman ontologique a été le cas de M. F.-W, Frankland[1], qui à Wellington (Nouvelle-Zélande), dans une conférence devant la Société philosophique, exposa le système de l’esprit-fonds et en réclama la co-paternité, car, affirmait-il, les mêmes idées lui étaient venues à lui dès 1870. Mais, depuis Salomon, il est admis que le véritable père est celui qui veut avant tout garder la vie sauve à son enfant. Et il ne tient pas à M. Frankland que la doctrine dont il se dit le co-inventeur ne se brise et ne vole en éclats, tant il la bourre de témérités et de chimères. Le professeur Clifford, dans son Analyse, s’était borné à noter entre les sentiments deux ordres de relations : de coexistence et de séquence ; il lui avait suffi de conclure que derrière la matière apparente existent des éjets constitués par des unités d’esprit-fonds. C’est bien trop peu pour M. Frankland, qui sous couleur de « poursuivre la ligne de pensée ainsi tracée », s’exerce aux applications les plus aventureuses. Il veut que l’on distingue encore dans les sentiments des degrés d’intensité, des différences de volume (que peut bien être, par grâce, la volume d’un sentiment ?) et enfin des relations causales. Cela fait, rien ne sera plus facile que d’exprimer en termes d’esprit-fonds les théories modernes de la physique du monde ; ces notions, matière, inertie, force, mouvement, masse, temps, etc., pourront se traduire en langue nouménale. Le mouvement est esprit-fonds, le volume du sentiment est la masse, l’inten-

  1. Mind, janvier, 1881 (Notes and Discussions).