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vants d’un autre, a dépendu d’un pur artifice, consistant à imaginer deux hommes au lieu d’un. »

Cette réfutation nous paraît plus spécieuse que solide, et nous doutons que le professeur Clifford eût souscrit à la substitution. En effet je puis, par une hypothèse, feindre que l’image cérébrale de l’homme, ou, comme préfère dire M. Gurney, le cerveau de l’homme soit objet pour moi ; mais comment imaginer que ma propre image cérébrale, mon cerveau propre devienne jamais objet pour moi, ainsi que dans le terme 4 de la seconde proportion ? Comment contemplerais-je mes modifications cérébrales ? En second lieu, à supposer que cette substitution fût acceptable il faudrait avoir établi d’abord l’illégitimité de la primitive proportion. Or en aurait-on le droit, à moins de nier le fait évident des éjets ? Pourrait-on soutenir que, voyant un autre homme je n’infère pas en lui une conscience ? Rien ne s’oppose à ce que l’on imagine devant notre chandelier deux hommes au lieu d’un. Si M. Gurney tient absolument à ce qu’une substitution ait lieu, accordons lui la seule qui se puisse raisonnablement opérer. Remplaçons dans le terme 2 la perception qu’a l’homme par la perception que j’ai moi-même, et dans le terme 4 l’image cérébrale en l’homme, non par ma propre image cérébrale, ce qui est inadmisible, mais par ma propre image mentale, ce qu’on ne peut refuser, car elle est la seule, que je puisse directement atteindre quand il s’agit de moi.

La proportion redevient :  ;

 1 la réalité extérieure : 2 ma perception
::  3 le chandelier : 4 mon image mentale.

2 et 8 sont encore identiques ; sans doute, mais entre ma perception et mon image mentale c’est-à-dire entre 2 et 4 je ne distingue pas. Or l’image mentale est un fait de conscience, un sentiment. Les quatre termes sont donc faits d’esprit-fonds.

Le professeur Clifford avait admis que tout sentiment, quoique non conscient par lui-même, fût susceptible d’entrer dans des complexes constitués en consciences ; ce qui devient pour M. Gurney l’occasion d’une critique nouvelle. Il suppose (ce que la théorie de l’évolution l’autorise à faire) que toute matière soit devenue hautement organisée et par conséquent tout esprit-fonds agencé en complexes, de telle sorte que le contingent de réalité dans le monde se réduise à deux esprits. Chacun de ces deux esprits sera représenté dans l’autre comme un cerveau matériel ; mais comme un esprit, d’après le professeur Clifford, consiste en ses contenus, chacun de ces es-