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soupçonnions un stratagème. Et, en effet, voyez ! C’était après avoir admis la matière phénoménale comme existante ; après avoir opposé cette matière aux éjets, réalités non traduisibles en phénomènes ; après avoir fouillé l’organisme cérébral ; après avoir remonté la gradation des vivants jusqu’à cette zone où ils confinent au règne des choses brutes, que, par un subit escamotage, on faisait s’évanouir cet univers tout à l’heure substantiel, consistant et palpable, maintenant impondérable, inattingible, vain symbole qui dissimulait l’esprit-fonds. Mais, si la matière est un leurre, de quel droit l’avoir posée d’abord comme première ligne à l’arrière de vos déductions ? Si la réalité phénoménale est néant, lorsque vous avez étagé sur elle la réalité de l’esprit omni-présent, vous avez donc bâti dans le vide !

Où l’artifice se laisse surprendre, c’est quand l’ingénieux rédacteur du Mind oppose à l’objet l’éjet. Comme si ces éjets que je conçois, c’est-à-dire ces consciences étrangères à la mienne, je me les représentais autrement que grâce aux inductions redoublées qu’autorisent leurs manifestations phénoménales ! Comme si je ne me figurais pas les sentiments d’autrui sur le patron de mes sentiments à moi et les éjets exactement d’après le modèle de mes objets !

Un homme que je contemple regarde un chandelier : chose matérielle, phénoménale pour ma conscience, ce chandelier ne devra-t-il pas être phénoménal et matériel aussi pour la conscience de cet homme ? Évidemment joui, puisque je ne conçois de conscience qu’à la ressemblance de la mienne. Objet pour moi, objet pour lui,

Mais, s’il en est ainsi, je puis renverser l’exemple de tout à l’heure et supposer que l’homme me regarde contemplant à mon tour le chandelier. Il suffira d’intervertir les termes deux à deux, de manière à avoir : le chandelier (objet pour l’homme) ; — l’image cérébrale que j’en ai (également objet pour l’homme) ; — l’image mentale en moi (ou perception) ; — la réalité extérieure (correspondant à cette perception). Ce qui nous donne la nouvelle proportion qui suit :

1 la réalité extérieure : 2 à ma perception
 ::3 le chandelier : 4 à mon cerveau (ces deux derniers objets pour l’homme).

2 et 3 sont encore de même fonds ; (d’après ce que nous venons de dire, le chandelier est perçu par l’homme comme il l’est par moi, sous forme phénoménale) ; 3 est de même fonds que 4, c’est-à-dire matière. Donc la réalité extérieure est elle-même formée non d’esprit-fonds, comme il semblait dans la proportion primitive, mais de fonds-matière. L’opération se retourne contre qui l’emploie et donne