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causalité scientifique comme dans celui de la causalité métaphysique, l’idée d’un commencement absolu, d’un commencement de phénomènes sans cause, est la suppression des lois de la pensée et de la pensée même : c’est la pensée suspendue à un néant de pensée et d’être. Et comme nous avons vu que le libre arbitre ou la contingence psychologique se ramène, sur un point plus ou moins grand, à un commencement premier, absolu en son genre, le libre arbitre est, dans un système phénoméniste, une inconséquence, un renversement de toutes les lois des phénomènes et de toutes les lois de la pensée. Le phénoménisme criticiste n’est que l’antichambre d’un phénoménisme complet : c’est la désertion inconsciente du kantisme en faveur de Hume. Avec le criticisme phénoméniste, ce n’est pas Kant, c’est Hume qui ne peut manquer, comme on dit, de « rire le dernier. »

III. Tentatives pour concilier la causalité scientifique et la conservation de l’énergie avec la contingence métaphysique.

Leibnitz, tout en admettant le déterminisme avec la régularité des volitions particulières, s’est flatté de maintenir dans l’ordre des effets et des causes considéré en son ensemble une sorte de contingence ; mais cette contingence n’est plus psychologique, comme tout à l’heure, elle est métaphysique : les choses, à la rigueur, prises dans leur totalité, pourraient être autrement, bien qu’en fait elles ne soient pas autrement et que leur détail soit déterminé. À tous les mouvements correspondent des perceptions, en vertu de l’universelle harmonie ; or il y a une infinité de mouvements intestins et insensibles où se trouve précisément la raison des mouvements sensibles et de masse ; de même, c’est « dans les perceptions insensibles que se trouve la raison de ce qui se passe en nous », en particulier de nos volitions. Le vrai calcul qui atteint le fond des choses, c’est le calcul infinitésimal. Leibnitz se flattait, par là, de sauver la contingence et la liberté ; aussi rapprochait-il le labyrinthe des quantités continues et le labyrinthe du libre arbitre. Pour lui, une vérité proprement nécessaire est celle qu’on peut ramener, par un nombre fini de moyens termes, à quelque proposition identique, comme A est A ; mais, quand la multiplicité des moyens termes est infinie, quand le calcul de nos volitions porte sur des infinités, alors sans doute ce calcul demeure encore possible pour une intelligence comme celle de Dieu, et même parfois pour une intelligence humaine ; mais le résultat du calcul, quoique