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à dire que, à cette époque, le rayonnement imitatif de cette invention est venu interférer en France avec les autres rayonnements imitatifs de découvertes bien plus anciennes, qui constituent l’ensemble des autres travaux publics (routes, ponts, canaux, etc.). — Le malheur est sans doute, pour la régularité de la série, que l’État s’est mêlé de la chose, qu’il a monopolisé ce nouveau genre de travail et substitué de la sorte à la continuité de progression que l’initiative privée laissée à elle-même n’eût point manqué de produire, la discontinuité propre aux explosions intermittentes de la volonté collective appelées lois. Mais, malgré tout, sous ces soubresauts de chiffres que l’intervention de l’État offre au statisticien interprétateur, il y a une régularité très réelle et incontestable qu’ils nous dissimulent. Pourquoi, en effet, a-t-on voté la loi du 11 juin 1842, qui prescrit l’établissement de notre premier grand réseau de chemin de fer, si ce n’est parce que, avant cette date, l’idée des chemins de fer avait circulé dans le public, et que la confiance, d’abord si faible et si combattue, dans l’utilité de cette nouvelle découverte, ainsi que le désir, d’abord de curiosité seulement, de la voir réalisée, avaient grandi silencieusement ?

Voilà la progression constante et régulière que le tableau ci-dessus nous masque et qui seule pourtant l’explique. Car n’est-ce pas à cause du cours interrompu de cette double progression de confiance et de désir suivant sa courbe normale, que nous avons vu dans ces dernières années la Chambre adopter le plan Freycinet et les dépenses pour travaux publics s’élever de nouveau d’une façon effrayante ? — Maintenant, n’est-il pas clair que, si l’on s’était proposé par hasard de mesurer approximativement en chiffres cette progression de l’opinion publique, l’idée de dresser le tableau ci-dessus était certainement la moins appropriée au but ? Il aurait certes mieux valu figurer l’accroissement annuel du nombre des voyages, des voyageurs et des transports de marchandises par voies ferrées.

VI

Après avoir dit ainsi l’objet, le but, les ressources de la statistique sociologique considérée comme l’étude appliquée de limitation et de ses lois, j’aurais à parler de ses destinées probables. L’avidité spéciale qu’elle a développée encore plus qu’assouvie, cette soif de