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ANALYSES.e. ferri. Socialismo e criminalità.

Sur le second terrain, le socialisme est-il plus solide que sur le premier ? Encore moins, ce nous semble, et ses adversaires en revanche sont tout autrement forts. Sur le premier, on connaît sa faiblesse, et, malgré leur insuffisance théorique et la banalité de leurs arguments, ses antagonistes triomphent sans peine. Monopole d’État, organisation du travail, communisme : de ces procédés imaginés pour rendre heureux le genre humain, qu’est-ce qu’on peut sensément attendre de comparable aux merveilleux effets produits par le libre commerce et la libre production, par l’appropriation du sol aux États-Unis ou la multiplication des propriétés en France ? Au moins le rêve socialiste à cet égard n’est-il point sans beauté, sans régularité rationnelle et symétrique. Mais, quand il s’agit de réduire au minimum le vice et le crime, et non plus d’atteindre à un maximum de travail, de richesse et de justice, se peut-il voir rien de moins spécieux que les idées mises en avant par nos utopistes ! Ces médecins de la société ressemblent aux docteurs à bout de remèdes, qui ordonnent le changement d’air à leurs malades. « Changez les conditions sociales, c’est-à-dire donnez à tous un bien-être égal et suffisant, une bonne éducation, et, dans ce milieu social réformé, toute prison sera inutile, le vice et le crime auront disparu. » Par malheur, il est moins aisé d’opérer cette transformation-là que de faire un petit voyage.

À cela Ferri répond, d’abord, statistique en main, que la criminalité ne tient pas précisément à l’absence de bien-être, et il le prouve dans un chapitre des plus remarquables. Il ajoute qu’elle ne tient pas non plus au défaut d’éducation, et il cherche à prouver que l’éducation et en général le milieu social ont sur la moralité ou l’immoralité des actions une très faible influence comparée à celle des facteurs individuels, du délit, à savoir du tempérament ou du caractère. Examinons ces deux points séparément. Un tableau frappant (p. 77) nous montre qu’en France, de 1844 à 1858, année par année, la hausse ou la baisse du prix du blé, de la viande et du vin, c’est-à-dire l’accroissement ou la diminution du bien-être, a correspondu à la baisse ou à la hausse de la criminalité violente ou lascive (homicides, assassinats, coups et blessures, attentats aux mœurs). Les années où l’on boit le plus, notamment, sont celles où l’on tue le plus. Le bien-être serait donc une cause de délit d’un certain genre, En revanche, toujours d’après notre auteur, qui fait cette concession à ses adversaires, il contribuerait à diminuer les délits contre les propriétés. Règle générale, les délits contre les propriétés seraient en raison inverse des délits contre les personnes. Tout ceci ne saurait être admis sans explication. Je conteste d’abord la réalité du mouvement de bascule presque érigé en loi, Pour prendre un exemple tout récent, de 1878 à 1881 (voy. la dernière statistique judiciaire officielle), en même temps que les vols et autres délits contre les biens ont augmenté en France, les meurtres, assassinats, coups et blessures ayant occasionné la mort, ont augmenté aussi. Si l’on additionne ensemble les parricides, empoisonnements, meurtres, assassinats,