Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 16.djvu/519

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
515
ANALYSES.e. ferri. Socialismo e criminalità.

reposée au xxe siècle, notre civilisation démentira ces outrageantes assertions. Si une meilleure alimentation était par elle-même une cause d’accroissement des délits contre les personnes, ce genre de méfaits devrait être proportionnellement plus fréquent dans les villes, où l’on se nourrit mieux, que dans les campagnes, où l’on se nourrit plus mal, Or c’est l’inverse que l’on constate. Nous comptons annuellement de 6 à 700 homicides, tandis que l’Italie, pour une population moindre, en compte 3,000 au moins et a éprouvé le besoin, entre parenthèses, de se forger un bien joli mot qui nous manque et dont nous nous passons sans trop de peine, uxoricidio. S’ensuit-il que le bien-être des Italiens soit très supérieur au nôtre ? ou bien expliquera-t-on cette différence par celle de la température moyenne des deux pays ? La classe rurale est, en France, la partie de beaucoup la moins criminelle, la moins délictueuse de la nation ; est-ce parce qu’elle est la plus pauvre d’argent et la moins bien vêtue et alimentée ? Non, car, dans cette classe considérée à part, on peut remarquer que les paysans les plus aisés sont aussi les plus honnêtes ; nous accordons ce point à M. Turati, Mais c’est parce qu’elle est, pour qui la voit de près, la classe la plus paisible et la plus heureuse, soit comme la plus satisfaite depuis qu’elle-a ce qu’elle souhaitait, la terre, soit comme la moins éloignée de l’ancien équilibre social. À l’opposé, la population urbaine, la plus émancipée de l’ancien ordre de choses, partant la plus troublée, riche et malheureuse jusqu’à ce qu’elle ait réalisé son rêve, le pouvoir sans frein, le gain sans travail, fournit le plus fort contingent à la criminalité, à l’exception de quelques rentiers qui digèrent leur fortune. — « Une des deux choses suivantes doit arriver, dit Maudsley (Pathologie de l’esprit) à un individu s’il veut vivre heureusement : il devra être assez souple et habile pour se conformer aux circonstances, ou assez fort pour que les circonstances se conforment à lui. S’il ne peut faire ni l’un ni l’autre, il deviendra fou, ou se suicidera, ou sera criminel, ou se mettra à la charge de la charité publique. » Implicitement, Maudsley reconnaît ainsi le lien que je viens d’établir entre le bonheur et l’honnêteté, aussi bien qu’entre le bonheur et la raison. Il dit ailleurs : « La folie n’augmente pas dans les classes aisées. Elle est moindre dans les districts manufacturiers que dans les comtés agricoles, et, dans ceux-ci, les plus pauvres sont les plus féconds en cas de folie, » « La folie marque une tendance à marcher concurremment avec le paupérisme. » Si donc il semble résulter de certaines statistiques que la folie, le crime, le suicide, marchant de front avec la civilisation, ce ne peut être qu’une apparence, à moins qu’on n’admette que la civilisation est inconciliable avec le bonheur. Mais ce serait oublier la sérénité, la félicité des olympiens, et en général des hommes ultra-civilisés, rare élite destinée peut-être à devenir la majorité demain. En somme, je serais bien près d’accorder aux socialistes que l’honnêteté se proportionne au bonheur, et que, s’ils parviennent jamais à nous combler tous de félicité, on pourra supprimer cachots et gendarmes. La seule difficulté est de