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commencer par nous rendre tous parfaitement heureux. Je dis parfaitement, car également ne suffirait peut-être pas.

Sous le bénéfice de ces observations, le chapitre de Ferri intitulé Benessere e criminalità me paraît mériter d’être hautement loué. Et j’ai vu avec plaisir les idées de l’auteur à cet égard, exposées avec son éloquence habituelle, entraînante, s’accorder ou coïncider même, coïncidence toute spontanée d’ailleurs, avec quelques brèves critiques adressées par nous à Turati en juin dernier. Les chapitres suivants sont pleins de considérations justes ; mais le naturalisme de l’auteur le conduit à méconnaître en partie l’importance de l’éducation, j’entends de l’éducation dans son sens le plus large, non spécialement scolaire, qui embrasse la vie sociale tout entière et par lequel elle se confond avec le milieu. Celle du collège elle-même importe extrêmement au point de vue et de la formation et de la direction du caractère, si du moins on a égard à ce qu’on ne voit pas, l’éducation que les condisciples se donnent entre eux, et non pas seulement à ce qui se voit, l’éducation qu’ils reçoivent de leurs maîtres, celle-ci infiniment moins efficace que celle-là. Les parents ne s’y trompent pas, d’instinct ; et à cela tient le succès de certaines écoles où l’on semble regarder moins à la qualité des professeurs qu’à celle des élèves. « L’éducation, nous dit-on, peut immensément moins que l’hérédité et beaucoup moins que le milieu social. » D’abord, elle est identique, dans notre sens, au milieu social, qui est essentiellement éducateur. Puis son influence ne s’exerce pas plus aux dépens de celle de l’hérédité, que les développements d’une usine ne sont un amoindrissement de la chute d’eau dont elle est l’emploi. Sans sortir des limites tracées à l’activité du tempérament par la pente sociale du caractère, et sans diminuer en rien cette activité ni contrarier cette pente, il y a bien des emplois possibles, soit moraux, soit immoraux, de l’un ou de l’autre. Bien entendu, je laisse de côté une faible minorité de caractères et de tempéraments exceptionnels, indomptablement vicieux ou inébranlablement honnêtes. À part ces exceptions, la vocation la plus précise est une visée en somme assez vague, qui embrasse à la fois une pomme et une tête comme celle de Guillaume Tell, un acte héroïque ou un acte criminel à accomplir. Différence insignifiante biologiquement, sociologiquement immense, que le moindre changement des idées ambiantes fait aisément franchir. Aussi voyons-nous la même race, restée immuable, par exemple la race celtique ou germanique, servir de terrain également favorable à deux ou trois civilisations diverses successivement ensemencées en elle pendant une période de quelques siècles, et tour à tour vertueuse ou dépravée, généreuse ou servile. La part prépondérante, absorbante, que Ferri fait à l’hérédité dans la formation du caractère moral, est contredite par ce fait, signalé par lui-même avec force, de la progression de l’immoralité. La race pourtant n’a pas changé. Dire que l’éducation est impuissante, parce que des idées ne sauraient mordre sur des sentiments, c’est oublier que