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vrage s’adresse non plus seulement aux biologistes, mais aussi aux philosophes, du moins dans ses résultats généraux.

Incompétent pour trancher le débat particulier qui s’élève ici entre des biologistes, nous ne pouvons apprécier de pareils ouvrages que sous le rapport de la cohérence des concepts généraux qui guident leurs auteurs, et de l’accord que ces concepts présentent avec la théorie de l’évolution. Sous ce rapport, le livre de M. Cattaneo est plus satisfaisant que celui de M. Perrier, bien qu’il lui reste inférieur pour l’abondance et la variété des vues. Celui-ci a mêlé à ses recherches des préoccupations métaphysiques qui les ont, à notre sentiment, plus d’une fois égarées. Tout en montrant, d’après le principe de l’association, l’unité de composition du règne animal, l’homme compris, tout en acceptant d’un bout à l’autre de la série des phénomènes la possibilité d’un enchaînement causal et même mécanique rigoureusement déterminé, il s’efforce avec une subtilité prodigieuse d’établir qu’à deux reprises dans l’histoire dés êtres vivants le champ a été laissé libre à l’intervention d’une puissance créatrice : 1o quand les protoplasmes ont été formés avec certaines facultés d’évolution spéciale ; 2o quand l’âme humaine a été faite de certains tourbillons d’éther, Il cherche évidemment, par un système de bascule très compliqué, à satisfaire les déterministes et les spiritualistes, à rester en bons termes avec les savants et avec les métaphysiciens. Nous avons vu que ces préoccupations marquaient çà et là leur trace dans le cours de l’ouvrage et en viciaient les conclusions essentielles. M. Cattaneo n’a pas de pareils soucis. Il va droit devant lui, cherchant les faits les mieux avérés et les interprétations les plus cohérentes, plus désireux de bien comprendre l’évolution naturelle des êtres que de ménager çà et là de petites trappes par où le surnaturel puisse se glisser, Voici quel est, d’après lui, le tableau des diverses unités vitales, ou la série des individualités biologiques[1].

La cellule ou plastide ne lui paraît pas être l’individualité primordiale irréductible, Elle-même est composée de plastidules (ou corpuscules granulaires) dont les homologues se trouvent encore à l’état libre dans les infusions et qui sont les individus primordiaux. Ceux-ci donc ou restent isolés ou s’associent pour former les cellules : de là deux voies diverses de développement qui divergent de plus en plus. D’un côté, la division du travail porte sur l’intérieur de l’être, si petit qu’il soit ; de l’autre, elle se fait entre des êtres multiples, qui revêtent chacun des fonctions diverses, mais conspirantes. Ce double mode de développement va se retrouver à tous les degrés de l’échelle des organismes. Ainsi les plastides, cytodes ou cellules sont susceptibles d’une différenciation interne considérable, comme cela a lieu chez les Radiolaires et chez les Infusoires, dont quelques-uns ont des organes très com-

  1. M. Cattaneo avait déjà exposé ce tableau dans un travail sur les individualités animales publié en 1879 (Actes de la Société italienne des sciences naturelles).