Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 16.djvu/534

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
530
revue philosophique

quelques facultés ou de toutes, s’il néglige la santé, s’il ne pourvoit pas d’habitudes les forces de l’individu, ou s’il les habitue dans un sens contraire au devoir du perfectionnement, s’il inculque l’erreur, ou s’il fournit des vérités inopportunes, au préjudice de celles qui seraient plus appropriées à l’objet de l’instruction, un enseignement de cette espèce produira nécessairement des effets désastreux : outre qu’il ne fournira pas aux personnes les conditions indispensables pour l’accomplissement de la loi morale, il aura engendré en elles des mœurs mauvaises et formé des dispositions aboutissant au mal. L’enseignement doit donc, avant tout, être propre à réaliser complètement son objet ; autrement dit, l’instruction et l’éducation doivent être de nature à disposer les mineurs à remplir dans l’âge adulte les devoirs que la nature leur a imposés. Le rapport de conformité de l’enseignement avec la fin morale des individus est une de ses lois fondamentales, constantes, universelles. C’est un vrai principe, que j’appellerai principe de corrélation de l’enseignement avec sa fin, ou simplement principe de corrélation finale (p. 199). — Mais l’étude de l’homme nous a appris que chacune de ses facultés ou tendances à sa propre sphère d’action, et chaque âge son degré particulier de développement, et qu’on ne pourra altérer cet ordre sans déconcerter tous les efforts. L’enseignement doit donc aussi s’adapter aux conditions personnelles de l’élève, sous peine de ne servir pas aux fins de la moralité, Un illustre penseur a dit : « Plus la science nous familiarise avec la constitution des choses, plus nous voyons que celles-ci portent en elles-mêmes leur raison d’être et leurs lois. Plus notre connaissance s’élève, plus nous sommes disposés à restreindre notre immixtion dans la marche de la nature. De même qu’en médecine le traitement héroïque d’autrefois a fait place à un traitement plus doux, et qu’on s’abstient souvent de tout traitement, en se bornant à un régime régulier ; de même qu’on a reconnu inutile de mouler le corps des nourrissons dans des maillots, à la façon des Papous et autres barbares ; de même encore qu’on a découvert qu’aucune discipline, si habilement combinée qu’elle puisse être, ne vaut pas pour la moralisation d’un détenu la discipline naturelle du pain quotidien gagné par le travail ; de même aussi, en matière d’éducation, nous nous apercevons que nous ne pouvons obtenir le succès qu’en surbordonnant nos moyens à ce développement spontané par lequel passent tous les esprits pour parvenir à la maturité[1]. » Cette relation de l’enseignement avec la nature de l’élève est universelle et constante ; elle s’applique à tous les individus de l’espèce humaine, quels que soient l’âge, le sexe, la couleur, le tempérament, la nationalité ; elle est nécessaire, on ne peut s’en départir sans ôter toute vertu à l’enseignement ; elle est donc une loi fondamentale, que j’appellerai principe de corrélation de l’enseignement avec le sujet qui apprend, ou ; plus brièvement, principe de corrélation subjective. »

  1. Spencer, De l’éducation intellectuelle, morale et physique, édit. popul., p. 66.