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le caractère de son œuvre, il n’a négligé ni de faire appel pour cela à des souvenirs personnels d’un vif intérêt, ni d’ajouter, d’après des documents de famille, divers détails inédits à ce qu’on savait de lui-même de ses premières années. Une histoire complète reste donc à écrire, dans laquelle devront être coordonnés, digérés et interprétés avec critique les documents de toute provenance sur la vie de John Stuart Mill et le développement de sa pensée. Quelle que soit la valeur propre, la forte originalité de James Mill, le plus grand intérêt d’une biographie du père sera toujours d’être liée étroitement à celle du fils.

Ce qui est vrai, c’est que le moment peut-être n’est pas venu d’écrire définitivement la vie d’un penseur si voisin de nous. Les événements auxquels il a été mêlé n’appartiennent pas encore à l’histoire ; les hommes qui l’ont connu intimement n’ont pas livré et peut-être ne seraient pas disposés à livrer encore tous les documents qui le concernent ; enfin nous n’avons pas assez de recul pour porter sur l’homme et sur son rôle un jugement d’ensemble qui ait chance de demeurer celui de la postérité. À l’égard de James Mill, nous sommes plus sûrs d’être au point de perspective.

Voici comment M. Bain a été amené à écrire sur lui un gros volume. Le professeur Masson, venant occuper la chaire de littérature anglaise à l’université d’Edinburgh, s’avisa que James Mill avait étudié là durant sept ans et se mit à recueillir dans les registres universitaires tout ce qu’ils pouvaient contenir de renseignements sur lui. Le résultat de ces recherches parut fort intéressant à M. Bain, qui mit en réserve les documents ainsi recueillis. Vers le même temps, il rencontra par hasard son homonyme, le Rév. John Bain, ministre de l’église libre de Logie Pert, paroisse natale de Mill, lequel lui fit part des traditions locales touchant la famille du philosophe et lui promit de se livrer sur ce point à des recherches plus détaillées : nouvelle source d’informations dont M. Bain fit encore son profit. En 1867, voyant John Stuart Mill en train de publier l’Analysis of Mind de son père, et pensant que peut-être il saisirait cette occasion d’écrire une notice biographique sur l’auteur, il lui fit savoir quels documents il avait en sa possession. Mais John Mill répondit qu’il ne savait presque rien de la jeunesse de son père ni de ces années d’Écosse, auxquelles il l’avait à peine entendu faire allusion ; qu’il ne pouvait entreprendre une étude à ce sujet ; qu’aussi bien, tout ce qu’il pouvait dire de James Mill d’après ses souvenirs personnels était déjà consigné dans un travail autobiographique qu’il laisserait après lui. Mais, quand parut l’Autobiographie, elle contenait un éloge, nullement une histoire de James Mill ; et M. Bain