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nage une bonne église que vous pourriez me donner et qui me délivrerait de cette vie de peine et d’angoisses que je mène ici ? Ce Londres est un lieu où il est plus aisé de dépenser une fortune que d’en faire une. Je ne sais comment cela se fait : mais je travaille dur, je dépense peu, et je n’en suis jamais plus avancé. » Le pis est que dans ce moment même, sa famille d’Écosse ajoutait à ses embarras ; le croyant riche, apparemment, elle lui adressait des appels auxquels il était hors d’état de répondre. De là sans doute cette tradition locale qui le représente orgueilleux et dur, sans cœur envers les siens. Dès le temps de son départ pour Londres, sinon avant, le deuil et la misère étaient entrés dans le petit cottage de Northwater Bridge : sa mère était morte de la poitrine, une attaque de paralysie avait mis son père hors de travail. Son frère William ne tarda pas à succomber à son tour ; si bien que tout le fardeau retomba sur sa sœur May. Elle n’était pas de force à le porter, même avec l’assistance d’un ouvrier de la maison, nommé W. Greig, qu’elle épousa. Cette pénible situation semble avoir pesé lourdement sur l’esprit du pauvre James Mill ; toutes ses lettres à Barclay en sont pleines.

Non seulement il ne fut pas indifférent à ces tristesses ; mais il garda, quoi qu’on ait dit, une attitude au moins correcte. Les affaires de son père étaient si embarrassées, que la banqueroute suivit de près sa maladie. James aurait-il pu l’empêcher ? Ce que nous savons de sa propre situation à cette époque ne permet point de le croire. Le mal fait, il s’occupa très activement de le réparer. En premier lieu, il supplie Barclay de veiller à ce que son père ne manque de rien et s’engage à lui rendre ce qu’il dépensera pour lui venir en aide. Cela dura plusieurs années, car le vieillard né mourut qu’en 1808. Il est vrai que, pendant ce temps, W. Greig se plaignait de l’avoir à sa charge ; mais il ne faut pas accorder trop d’importance aux plaintes indiscrètes de cet homme d’une culture inférieure, mal informé des difficultés que traversait son beau-frère, sans bienveillance à son égard et non peut-être sans envie, d’autant plus exigeant qu’il était un ouvrier médiocre, incapable de faire face à ses propres affaires. Son peu de bonne volonté et le peu de tête de la pauvre May n’étaient pas pour simplifier les choses. Mill eut certainement à se défendre de leurs importunités, sans que rien toutefois autorise à dire qu’il ait manqué de bonté à leur égard. Il prend la défense de sa sœur, accusée de ne pas faire pour leur père ce qu’elle devait ; il rejette tout sur sa jeunesse et son inexpérience : c’est une « enfant gâtée ». Tout ce qu’il leur reproche, c’est de se mettre à la traverse des efforts qu’il fait pour adoucir les dernières années de son père. Une vache servait de longue date à l’entretien de la maison ; il leur conseille sans hési-