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MARION. — james mill

ter de renoncer à ce luxe, d’acheter le lait à la ferme et de donner au travail le temps qu’ils perdent en soins superflus. On vit là, paraît-il la marque d’une extrême dureté de cœur, et le souvenir s’en est conservé ; il est pourtant difficile à l’historien de partager cette indignation, sachant combien il était alors impossible à Mill de tirer d’embarras tous les siens.

Ce qui est certain et ce qui importe, c’est qu’il s’engagea résolument à payer, avec le temps, toutes les dettes de son père. Son ami Barclay lui rappelait qu’il n’y était point obligé, mais il le prie instamment de réunir tous les créanciers et de leur faire connaître ses intentions : « Je veux que tout ce qui reste soit loyalement partagé entre eux… Je ne puis que vous savoir gré du désir que vous avez d’alléger mon fardeau, mais je suis résolu à payer jusqu’au dernier farthing tout ce que mon père doit à qui que ce soit au monde, et cela dans le plus bref délai que je pourrai. Il nous faut lui et moi tâcher de vivre, jusqu’à ce que cela soit fait, de la façon la plus modeste possible. » À un créancier trop pressant il fait redire que sa résolution de tout payer est sincère et inébranlable ; mais il refuse absolument de céder aux exigences individuelles et de s’engager quant aux délais. Cependant, pour apaiser un certain tanneur, particulièrement véhément et importun pour son père, il consent à prendre l’engagement écrit de le désintéresser aussitôt qu’il sera à même de le faire. Mal lui en prit : ce tanneur fait faillite à son tour et passe le billet à un créancier de Londres, lequel aussitôt réclame à Mill 50 livres. « Si je suis réellement obligé de trouver une telle somme, écrit alors celui-ci (février 1807), ce sera pour moi un cruel embarras. »

On ne voit pas dans tout cela sur quel fondement il pourrait être sérieusement accusé de dureté envers sa famille. À la vérité, sa sœur resta longtemps dans la misère ; on répétait autour d’elle que la cause en était dans les sacrifices excessifs faits par son père pour l’éducation de son frère ainé ; on allait même jusqu’à dire que celui-ci s’était engagé à l’indemniser un jour, ce qu’il ne faisait point. Mais, en tenant même pour réel cet engagement peu vraisemblable, comment, encore une fois, aurait-il pu le tenir ? Plus tard, en 1820, étant dans une aisance relative, il apprit un jour indirectement que sa sœur et son beau-frère songeaient à ouvrir un modeste boutique ; aussitôt il s’enquiert de la somme qui leur serait nécessaire. « Il ne faut pas compter sur beaucoup, parce que mon revenu est petit et que ma propre famille est grande ; mais je suis très désireux de leur être utile dans la mesure de mes moyens. » On ne sait ce qu’il advint de cette proposition ; elle prouve, en tout cas, que, engagé ou non par