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ne saurait être ajouté et qui, j’en suis sûr, ne diminuera jamais, très affectueusement à vous.

« James Mill. »

La longueur même et la lourdeur de cette lettre, la solennité du ton, la faiblesse de certains détails, la passion contenue qui règne d’un bout à l’autre, tout témoigne du trouble dans lequel elle fut écrite. L’incident prouve plus contre Bentham que contre Mill, nous sommes sur ce point de l’avis de M. Bain ; mais il jette beaucoup de jour sur l’humeur de notre philosophe, dont l’honnêteté parfaite et la délicatesse incontestable prenaient une forme le plus souvent raide et assez gauche, rarement gracieuse, aimable et souple.

IV

La vie de James Mill ayant été presque entièrement dénuée d’événements et de péripéties, le biographe n’a guère qu’à retracer autant que possible l’ordre de ses travaux, en faisant connaître au passage les questions qui l’ont passionné et les personnes dans le commerce desquelles il a vécu. Ses premiers amis furent, avec Bentham, l’économiste Ricardo, l’avocat Henri Brougham, l’homme d’État Joseph Hume, le tailleur Francis Place, célèbre comme agitateur et philanthrope, le général aventurier Miranda, moitié conspirateur, moitié héros, Samuel Romilly, magistrat et jurisconsulte, William Allen, directeur du Philanthropist. Groupe d’hommes supérieurs à divers titres, tous plus ou moins liés entre eux par la communauté des goûts et des tendances, libéraux ardents et même, comme ils s’appelaient, « radicaux » en politique, indépendants en religion, utilitaires en morale, grands remueurs d’idées, avides de progrès et de réformes en tous genres, en somme dévoués au bien public.

Sur Ricardo, modeste et timide, Mill exerça dès qu’il le connut (1811) une influence décisive ; c’est lui, dit-on, qui le poussa à publier son grand ouvrage et à entrer à la Chambre des communes. « J’ai été le père spirituel de Mil), disait Bentham, et Mill l’a été de Ricardo. » John Stuart Mill dans l’Autobiography l’appelle le plus cher des amis de son père. « Son attitude bienveillante, ajoute-t-il, l’affabilité de ses manières le rendaient très attrayant pour les jeunes gens ; quand j’eus commencé à étudier l’économie politique, il m’invitait à venir chez lui et à l’accompagner à la promenade pour en causer. » La mort de Ricardo en 1893 causa peut-être à James Mill le plus vif chagrin qu’il eut de sa vie. Dans une lettre à Mac Culloch, il parle avec une émotion véritable des « douze années d’intimité délicieuse ; durant lesquelles