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MARION. — james mill

positive répugnait, d’autre part, à la critique stérile. On peut croire que son fils pensait surtout à lui en parlant de ces mécontents qui font cent fois plus pour le bien public que les résignés et les satisfaits. Le mécontement, en effet, n’était pas chez lui vice de tempérament, disposition superficielle d’un esprit ignorant des difficultés, mauvaise humeur inerte ; c’était le fait d’un caractère actif et s’aidant lui-même d’une pensée réfléchie qui ne dénonce le mal que pour travailler au mieux.

Il fut, avec le quaker William Allen, l’âme de la Société des amis, qui eut pour organe le Philanthropist et pour objectif l’amélioration de la condition du peuple, principalement l’éducation des pauvres. Allen, religieux jusqu’au mysticisme, Mill, le moins mystique des hommes et de plus en plus détaché de toute religion, furent l’un pour l’autre les amis les plus fidèles, les collaborateurs les plus désintéressés : rien ne saurait faire autant d’honneur à tous deux que leur commun dévouement à la cause de l’instruction du peuple. L’un voyait surtout dans l’instruction un moyen de répandre la Bible, l’autre ne visait qu’à éclairer et émanciper les esprits ; mais s’ils’n’étaient pas d’accord sur les fins lointaines de l’enseignement, ils l’étaient sur le but prochain, et cela suffisait à les faire rivaliser de zèle pour les écoles. Une certaine timidité semble avoir empêché Mill de jouer un rôle prépondérant dans les réunions publiques : il n’y prit la parole que rarement, préférant laisser aux autres les premiers rôles plus utile que personne, en réalité, par son esprit d’organisation, son ardeur au travail, sa ténacité, sa plume vigoureuse et toujours prête.

Le chapelain André Bell avait rapporté de Madras la méthode d’enseignement mutuel, depuis longtemps en usage dans l’Inde. Elle n’était pas entièrement nouvelle en Europe : Erasme l’avait recommandée au xvie siècle ; on l’avait pratiquée à Saint-Cyr au xviie siècle », à Paris et à Orléans au xviiie siècle ; mais à Londres, elle eut le succès d’une nouveauté. Autant elle est mauvaise absolument parlant, puisque, au lieu de pousser l’instruction de tous les élèves, elle sacrifie à ceux qui ne savent rien ceux qui commencent à peine à savoir quelque chose, autant elle pouvait rendre de services dans les quartiers pauvres de Londres, où il n’y avait ni écoles ni maîtres. C’est ce que comprit un instituteur intelligent et remuant, Lancaster, homme médiocre d’ailleurs et même d’un médiocre caractère. Plus jeune que Bell de vingt-cinq ans, il fit sienne la méthode monitoriale, au point que beaucoup de gens l’en crurent l’inventeur. Il sut passionner pour elle le parti libéral, qui fonda par souscription les écoles dites lancastériennes. Mill durant quelque temps n’eut pas de plus