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ardente occupation que cette œuvre philanthropique. On multipliait les démarches et les réunions ; l’on obtint jusqu’à l’adhésion royale. L’Église alors s’alarma d’une agitation si puissante, dont les fins étaient toutes temporelles et, de l’aveu de plusieurs, politiques. Bell fut tiré de sa retraite pour organiser dans un esprit religieux, au nom et aux frais du parti conservateur, d’autres écoles d’enseignement mutuel.

C’est le bruit de ce grand débat, qui fit connaître l’enseignement mutuel dans tous les pays de l’Europe. Propagé chez nous par une société de philanthropes, MM. de Laborde, de La Rochefoucauld-Liancourt, de Gérando, l’abbé Gaultier, il n’y fut que trop en faveur, car il contribua à dissimuler longtemps, à Paris même, l’insuffisance numérique des maîtres, à laquelle il semblait suppléer. Par une confusion déplorable, on en vint à prêter une sérieuse valeur pédagogique à un procédé, dont le mieux qu’on puisse dire est qu’il valut en son temps mieux que rien.

Bentham joua un rôle actif à sa manière dans cette lutte des novateurs contre l’Église d’Angleterre. Ce fut l’occasion de son violent et volumineux pamphlet Church of Englandism, qui parut en 1817, et de cet autre écrit, publié seulement en 1893, Not Paul, but Jesus, où l’exégèse prend aussi le ton de la plus vite polémique. Cet esprit encyclopédique, qui, non content de prétendre à l’universalité du savoir, ait à tout renouveler, entreprit en même temps un laborieux traité de pédagogie, Chrestomathia (1815), qui n’est guère qu’une classification des sciences, surannée, dit M. Bain, dès le temps même où elle parut. La seule partie intéressante est celle qui traite de la discipline scolaire et des punitions ; là, l’auteur de la Législation pénale était sur son terrain. En tout cela, il eut pour confident et pour collaborateur James Mill, son hôte à Ford Abbey plus de six mois tous les ans jusqu’en 1817. Le refroidissement entre eux n’avait été que d’un moment. Mill, discret et sobre de paroles, écoutait, lisait les manuscrits et les épreuves, discutait peu, ayant renoncé de Lorne heure à exercer une influence sur ce vieillard, encore plus entier de caractère et d’esprit que lui-même. D’accord sur les points essentiels, le dogmatisme triomphant de l’un, le tact et la déférence de l’autre, le sens pratique de tous deux, les empêchaient de perdre le temps à se chicaner sur les détails. Ensemble ils « pleurèrent la mort du gouvernement libre en France », en 1845 ; ensemble ils travaillèrent à l’organisation d’une école modèle, « The Chrestomathic School, » qui d’ailleurs ne réussit pas, et à la fondation d’une grande revue, organe de leurs idées politiques et sociales, la Westminster Review. Plus tard (1825), Mill aura un rôle prépondé-