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Mill devait à grand peine gagner par an 150 livres ; et il en vient à se demander si peut-être quelqu’un de ses amis ne lui venait pas en aide par des avances, comme Bentham par son hospitalité.

Quoi qu’il en soit, le succès de l’Histoire de l’Inde mit fin à cette situation précaire. Il semble que ce livre fût attendu et d’avance tenu en estime, car la poste accorda le transport gratuit des épreuves, faveur dont il y a peu d’exemples. Nous n’avons pas ici à juger ce livre, d’un si grand intérêt pour la nation anglaise, d’une valeur générale d’ailleurs incontestée. On en a critiqué le style, comme négligé souvent et non exempt de mauvais goût ; mais il n’y eut qu’une voix sur l’immensité des recherches, sur l’effort fait pour en coordonner les résultats, sur la science, la méthode, le ferme jugement, « les hautes et rares vertus » de l’historien. Le second livre, consacré au caractère, au passé, aux mœurs, à la religion, à l’art, à la littérature et aux lois des peuples de l’Inde, passe pour ce que Mill a produit de meilleur. Toujours est-il qu’à dater de ce jour on le tint, lui qui n’avait jamais quitté le sol britannique, pour un des hommes d’Angleterre les plus compétents sur les choses des Indes. La Compagnie, dont il avait pourtant combattu le monopole, loin de lui tenir rigueur pour des sévérités qu’il n’avait épargnées à personne, n’attendit qu’une occasion de se attacher. En mai 1819, elle le prit à son service, aux appointements de 800 livres (20,000 francs), appointements qui furent élevés presque coup sur coup à 1,000 et 4,200 livres, puis portés à 1,900 en 1830, et enfin à 2,000 (50,000 francs) en 1836, peu de mois, malheureusement, avant sa mort.

Son travail consistait à recevoir, d’abord en qualité de secrétaire auxiliaire, la correspondance de l’Inde, spécialement pour ce qui avait trait aux taxes et aux revenus ; plus tard, il fut chef de ce service, dans lequel il fit entrer, en 1823, son fils John, âgé à peine de dix-sept ans[1]. Comme tous les employés de la Compagnie, ils devaient être à leur bureau six heures par jour (de 10 à 4), ce qui leur laissait d’autant plus de loisir, que même ce temps du bureau n’était pas toujours réclamé tout entier par les affaires. Ce n’est que plus tard que James Mill fut quelques années (1830-1833) réellement absorbé par ses fonctions, quand la Compagnie, dont les privilèges arrivaient à terre, battue en brèche de toutes parts par d’ardentes pétitions, le chargea

  1. Un professeur de Cambridge insistait vivement, à ce moment même, pour que John vint à l’Université, faisant observer notamment qu’il ne lui serait pas inutile dans la suite d’avoir connu là l’élite de ses jeunes contemporains. Mais son père estime qu’il savait déjà plus qu’on ne pouvait apprendre à Cambridge. La Compagnie d’ailleurs lui faisait dès maintenant et lui promettait dans l’avenir une situation des plus avantageuses, tout en lui laissant largement le temps de poursuivre ses études de droit.