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sibles les contrastes sains, et ainsi le jugement est affaibli. De là résultent des états morbides de l’esprit avec plus ou moins d’agitation motrice. Dans les états maniaques dont on a précédemment parlé, il y a une sérieuse interférence entre les processus d’où sort la mémoire et ceux dont dépend la genèse de connaissances saines ; par le mélange confus d’impressions venant du milieu avec les matériaux dérivés de la réminiscence, il peut se former certaines idées délirantes. Toutefois elles sont flottantes et transitoires, et l’évolution mentale en est à un moment d’arrêt à l’égard des acquisitions persistantes. Mais quand revient un calme relatif, au point où pour ainsi dire la conscience tourne bride, tendant à se réintégrer dans les régions supérieures de l’esprit, alors la tendance vers l’évolution peut prendre une mauvaise direction. Certains groupes de conceptions fausses peuvent avoir une influence prépondérante et, agissant comme des automates, peuvent, dans leurs développements ultérieurs, troubler dans son ajustement l’esprit qui se remet graduellement à s’adapter. En conséquence, l’organisme mental s’ajuste de plus en plus à ses conceptions délirantes bien plutôt qu’à son milieu. Maintenant, ce sont certaines idées et croyances dominantes qui attirent autour d’elles des groupes auxiliaires d’idées naissantes. Le milieu n’a plus qu’une faible prise sur lui, comme le prouve le défaut d’adaptation dans les réactions : ainsi se produit l’état monomaniaque.

Ce serait une leçon d’humilité de nous demander jusqu’à quel point nous pouvons associer ce profond changement subjectif avec son corrélatif physique. Nos observations de développement bien graduel de la conscience, comme résultat d’une évolution naturelle et lentement progressive de son substratum, nous imposent quelques sérieuses réflexions : toute restauration spasmodique et partielle de l’équilibre mental doit, par sa nature même, être tenue pour suspecte ; toute transition soudaine de l’excitation maniaque au calme mental et à un apparent retour à soi-même doit être de même jugée défavorable. En fait, la restauration de la santé mentale ne peut être assurée que si elle prend la forme d’une évolution psychique graduelle.

À cette période critique où la restauration de la vigueur mentale a commencé, pouvons-nous jamais être trop en garde de ne pas tenir cet esprit naissant dans des conditions désastreuses pour lui, telles que la grossièreté de langage, de conduite et de penchants de certains maniaques chroniques et les instincts brutaux des fous criminels.

Parmi les nombreux problèmes qui attendent des aliénistes une solution, il y en a qui appellent spécialement des recherches et des discussions nouvelles.