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SULLY. — le développement mental

de nouveau la même opération ou le même genre d’opération. Cette vérité est évidemment la base de cette généralisation : « l’exercice fortifie la faculté. » La facilité plus grande de distinguer les couleurs, les sons, etc., résultant des exercices répétés de la fonction de la discrimination, peut seulement être expliquée en disant que toute activité successive modifie l’intelligence, en fortifiant sa tendance à agir de ce côté spécial ou de cette manière particulière.

Ces traces persistantes et cette formation d’une disposition à penser, sentir, etc., de la même façon qu’auparavant, constituent la base de ce que nous appelons habitude. Par cette expression, nous entendons une tendance fixe à penser, à sentir ou à agir d’une manière particulière dans des circonstances spéciales. La formation des habitudes est un élément très important de ce que nous appelons le développement intellectuel, mais elle est loin d’en constituer le tout. L’habitude se rapporte plutôt à la fixation des opérations mentales dans des directions spéciales. Prise dans ce sens restreint, l’habitude est en quelque façon opposée au développement. En suivant souvent un certain ordre d’idées d’une certaine manière, nous perdons la capacité de varier cet ordre, d’adapter la même combinaison à de nouvelles circonstances. L’habitude est ainsi l’élément de la persistance, de la coutume, la tendance conservatrice ; tandis que le développement implique la flexibilité, le pouvoir de se modifier, de recevoir de nouvelles impressions, la tendance progressive. Nous aurons souvent à faire une distinction entre les effets de l’habitude, prise dans ce sens restreint, et le développement, pris dans son sens large, c’est-à-dire un progrès en avant dans différentes directions.

Pour que les facultés intellectuelles puissent être exercées et se développer dans leur ensemble, elles ont besoin d’une forme plus élevée du pouvoir de retenir. Il faut que les traces laissées par les activités intellectuelles s’accumulent et apparaissent sous la forme de réveils ou de reproductions. Les impressions sensorielles, quand elles ont été distinguées, sont rappelées alors comme des images. Cette action de retenir et de faire revivre les produits des premières distinctions sensorielles est évidemment indispensable aux opérations plus élevées de la pensée. Les images, quoiqu’étant le produit des processus élémentaires de la distinction et de l’assimilation, fournissent à leur tour les matériaux pour les processus plus subtils de la pensée. Nous voyons ainsi que la complexité croissante de la vie intellectuelle dépend de l’accumulation de traces innombrables des produits antérieurs et plus simples de l’activité intellectuelle.