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ditaire à penser conformément à la loi de la causalité, nous voulons dire que l’intelligence d’un enfant est jusqu’à un certain point déterminée à penser de cette manière indépendamment des enseignements de sa propre expérience. On exprimerait cette partie du sens en disant que la tendance est « instinctive », « innée » ou mieux peut-être « co-née[1] ». En outre, le terme « héréditaire » implique un fait positif, à savoir que la tendance mentale a été transmise à l’individu par ses parents ou ancêtres, en même temps que certains traits caractéristiques des structures nerveuses. Ainsi on peut dire que les capacités mentales ordinaires, la faculté de discerner, etc., ont été ainsi léguées ou transmises par le père à l’enfant. Cependant, quand nous parlons de tendances mentales héréditaires, nous voulons dire quelque chose de plus. Cette expression implique que la tendance transmise est le résultat de l’expérience ancestrale ; qu’elle représente une acquisition faite dans le cours de l’histoire de la race. Ainsi la tendance instinctive à relier les événements d’après le principe de causalité est regardée comme le produit héréditaire de l’expérience uniforme ou à peu près uniforme d’un grand nombre de générations. Cela veut dire que, depuis le moment où ils ont commencé à observer la nature, les hommes ont trouvé que les événements se présentent avec une certaine connexité, que chaque événement est amené par un autre ou par d’autres événements.

Il importe d’ajouter que ces tendances héréditaires n’ont pas besoin de se manifester au début de la vie. Une certaine quantité d’expérience individuelle peut être nécessaire à la manifestation du pli héréditaire de l’intelligence. Bien plus, on suppose que l’ordre de développement de l’individu s’accorde en général avec celui de la race, et que la date de l’apparition d’une tendance héréditaire correspondra à peu près à la période de l’histoire de la race pendant laquelle l’acquisition a été faite. Ainsi les premières acquisitions de la race seront représentées par les tendances qui se manifestent au début de la vie individuelle, les acquisitions postérieures par les tendances qui apparaissent à des époques postérieures de la vie individuelle.

La question de savoir jusqu’où s’étendent ces dispositions héréditaires donne encore lieu à de graves discussions. Dans le domaine de l’intelligence, nous avons comme exemples faciles à vérifier la tendance à relier entre elles les expériences du toucher et de la vue

  1. Le terme inné, comme il est employé généralement, semble impliquer que la tendance devrait se montrer au début de la vie ; mais, comme nous allons le voir, bette condition n’est pas nécessaire. C’est pourquoi le mot co-né est préférable.