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SULLY. — le développement mental

dans la perception visuelle des objets, la tendance à grouper les événements d’après le principe de causalité, etc. Dans le domaine de la sensibilité, l’hérédité semble jouer un rôle encore plus étendu. Le sentiment de plaisir produit chez l’enfant par aspect du visage maternel, le sentiment de douleur excité par les regards et la voix d’une personne qui est en colère ou qui gronde, la crainte manifestée par de jeunes enfants à la vue d’étrangers et de certains animaux, sont des preuves de ces tendances émotionnelles héréditaires. De tels sentiments semblent correspondre aux nombreuses expériences agréables ou douloureuses de la race. Enfin, dans le domaine de l’action, nous trouvons des tendances visibles chez l’individu à imiter les manières d’agir habituelles de ses ancêtres. Ainsi l’enfant tend, instinctivement et indépendamment des enseignements de l’expérience à mouvoir les yeux symétriquement, à étendre la main pour saisir, un objet et à porter les objets à sa bouche, etc.

Il n’est pas nécessaire d’expliquer ici d’une manière détaillée ce que l’évolutionnisme entend par le principe d’hérédité appliqué au développement physique et psychique de l’individu. Nous dirons seulement quelques mots sur deux points.

1o Suivant le principe de la transmission héréditaire, le développement psychique de l’individu est conforme et soumis jusqu’à un certain point à celui de la race. Cela veut dire que les centres nerveux et les activités psychiques qui y correspondent tendent à se développer dans l’ordre où ils se sont développés dans l’histoire de la race. Il y a là un parallélisme entre la durée plus ou moins longue du processus du développement. Dans chaque cas, le développement intellectuel s’est élevé de la connaissance des faits concrets où particuliers à celle des vérités générales ou abstraites.

2o Une conséquence de la doctrine des évolutionnistes est que dans une race en progrès les capacités natives de chaque génération nouvelle montrent une légère supériorité sur celles des précédentes. Le progrès fait par chaque génération tend à se transmettre sous forme d’un accroissement de capacité originel ou co-né. Ainsi les capacités d’un enfant né actuellement de parents européens seraient plus grandes que celles d’un enfant appartenant à une race inférieure et en décadence[1].

  1. Cette idée d’une capacité native de plus en plus grande est moderne ; elle est un trait caractéristique de la théorie de l’évolution. Locke et les autres psychologues argumentent comme si toutes les intelligences, quel que Soit le degré actuel de la civilisation, étaient douées de le même façon au Moment de la naissance. Le lecteur trouvera un exposé plus complet des lois de l’hérédité dans les Principes de la biologie (2e part. , chap.  VIII) de M. Spencer et dans le volume de M. Ribot : Sur l’hérédité.