Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 16.djvu/637

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
633
TH. RIBOT. — les bases organiques de la personnalité

le physiologiste peuvent en tirer profit, il n’en est pas de même du psychologue. Enfin, les bonnes observations sur ce sujet dépassent à peine un siècle. Antérieurement, le merveilleux et le vague des descriptions leur ôtent toute valeur.

Le moi, a-t-on souvent répété, est impénétrable ; il forme par lui-même un tout complet, parfaitement limité : ce qui est une preuve de son essentielle unité. Cette assertion, comme fait, est indiscutable ; mais cette impénétrabilité n’est que l’expression subjective de celle de l’organisme. C’est parce qu’un organisme déterminé ne peut pas être un autre organisme, qu’un moi ne peut pas être un autre moi. Mais, si par un concours de causes qu’il n’importe pas d’énumérer, deux êtres humains, dès la période fœtale, sont partiellement fusionnés ; les deux têtes, organes essentiels de l’individualité humaine restant parfaitement distinctes ; alors voici ce qui arrive : chaque organisme n’est plus complètement limité dans l’espace et distinct de tout autre ; il y a une partie indivise commune aux deux : et si, comme nous le soutenons, l’unité et la complexité du moi ne sont que l’expression subjective de l’unité et de la complexité de l’organisme, il doit y avoir dans ce cas, d’un moi à l’autre, une pénétration partielle, une portion de vie psychique commune qui n’est pas à un moi, mais à un nous. Chaque individu est un peu moins qu’un individu. C’est ce que l’expérience confirme pleinement.

« Sous le point de vue anatomique, un monstre double est toujours plus qu’un individu unitaire, moins que deux ; mais il se rapproche plus tantôt de l’unité, tantôt de la dualité. De même, sous le point de vue physiologique, il a toujours plus qu’une vie unitaire et moins de deux vies ; mais sa double vie peut se rapprocher davantage de l’unité ou de la dualité.

« Pour me borner aux phénomènes de la sensibilité et de la volonté, un monstre composé de deux individus presque complets, unis seulement par un point de leur corps, sera double moralement comme physiquement. Chaque individu aura sa sensibilité et sa volonté propres, dont les effets s’étendront sur son propre corps, mais sur son corps seul. Il peut même arriver que les deux jumeaux, très différents par les traits de leur visage, leur taille et leur constitution physique, ne le soient pas moins par leur caractère et leur degré intelligence. Dans le même instant, l’un sera gai, l’autre triste ; l’un veillera, l’autre dormira ; l’un voudra marcher, l’autre garder le repos, et de ce conflit de deux volontés animant deux corps indissolublement liés pourront naître des mouvements sans résultats, qui ne seront ni le repos ni la marche. Ces deux moitiés pourront se quereller, se donner des coups… Ainsi leur dualité morale, conséquence de leur dualité