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TH. RIBOT. — les bases organiques de la personnalité

entre les quatre cuisses ; il y avait deux intestins aboutissant à un seul anus. Les deux aortes et les deux veines-caves inférieures s’unissaient par leurs extrémités et établissaient ainsi deux communications larges et directes entre les deux cœurs : de là une demi-communauté de vie et de fonctions. « Les deux sœurs n’avaient ni le même tempérament ni le même caractère. Hélène était plus grande, plus belle, plus agile, plus intelligente et plus douce. Judith, atteinte à l’âge de six ans d’une hémiplégie, était restée plus petite et d’un esprit plus lourd, Elle était légèrement contrefaite et avait la parole un peu difficile. Elle parlait néanmoins comme sa sœur, le hongrois, l’allemand, le français et même un peu d’anglais et d’italien. Toutes deux se portaient une tendre affection, quoique durant leur enfance il leur arrivât de se quereller et même de se frapper. Les besoins naturels se faisaient sentir simultanément, sauf pour uriner. Elles avaient eu simultanément la rougeole et la variole, et, si d’autres maladies n’atteignirent que l’une des deux sœurs, l’autre avait des accès de malaise intérieur et de vive anxiété. Enfin Judith fut prise d’une maladie de l’encéphale et des poumons. Atteinte depuis plusieurs jours d’une fièvre légère, Hélène perdit presque tout à coup ses forces, tout en conservant l’esprit sain et la parole libre. Après une courte agonie, elle succomba victime non de sa propre maladie, mais de celle de sa sœur. Toutes deux expirèrent au même instant. »

Quant aux frères siamois Chang-Eng, nés en 1811 dans le royaume de Siam, on sait qu’ils étaient unis de l’ombilic à l’appendice xiphoïde. Après une description de leur habitus extérieur, I. Geoffroy Saint Hilaire ajoute : « Les deux frères même dans leurs autres fonctions [autres que la respiration et la pulsation artérielle] ont une concordance remarquable, mais non absolument constante, comme on s’est plu à le répéter et comme le disaient Chang et Eng eux-mêmes à ceux qui se contentaient de leur adresser quelques questions vagues. Sans doute, rien de plus curieux que le contraste d’une dualité physique presque complète et d’une unité morale absolue ; mais aussi rien de plus contraire à la saine théorie. J’ai fait avec soin toutes les observations, recueilli tous les renseignements qui pouvaient m’éclairer sur la valeur d’une assertion tant de fois répétée, et j’ai trouvé que, entre les principes méconnus de la théorie et toutes les déclarations psychologiques dont l’unité des frères siamois a été si longtemps l’inépuisable texte, c’est aux premiers, comme l’on devait s’y attendre, que les faits donnent entièrement gain de cause. — Jumeaux créés sur deux types presque identiques, inévitablement soumis pendant leur vie à l’influence des mêmes circonstances physiques et morales, semblables d’organisation et semblables d’éducation, les