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NOTES ET DISCUSSIONS

LIBERTÉ ET DÉTERMINISME[1]


L’auteur ingénieux de la théorie qui cherche à concilier le déterminisme avec la liberté, en rejetant celle-ci dans la sphère idéale[2], a pris la peine de réfuter dans le numéro de décembre 1882, p. 585-598, la critique de son point de vue que nous avions risquée en janvier dans un article sur le principe de la morale. Nous lui répondons bien tard ; mais la question n’est pas pour disparaître.

1o M. Fouillée n’accorde pas que le déterminisme et la liberté soient deux hypothèses ; suivant lui, le déterminisme est la logique même, c’est la loi fondamentale de la pensée, la loi de causalité. — C’est trop prouver. À ce compte, la liberté ne se concevrait point et ne serait admise de personne. Or elle l’est, chacun parle de causes libres[3]. Ce qui est impossible, c’est la régression à l’infini ; il faut un commencement à la pensée ; la liberté est un commencement, une cause qui n’a pas de causes.

2o Si l’intérêt de la science est d’un côté, celui de la pratique, de l’autre, le premier doit l’emporter, comme plus général. — On ne saurait l’admettre, il ne s’agit point des intérêts de la société, qui cependant ne sont pas « un intérêt de clocher » ; il s’agit de l’ordre moral en soi, lequel, par son caractère impératif, s’affirme à nos yeux comme l’ordre absolu[4].

  1. Sans revenir sur une discussion qui nous paraît épuisée, nous nous contenterons de quelques brèves remarques en note, relativement aux points essentiels. (Alfred Fouillée.)
  2. Et surtout en montrant comment l’idéal, par nous pensé et aimé, redescend dans la réalité, s’y réalise de plus en plus sous des formes conciliables avec le déterminisme même.
  3. Nous croyons avoir montré comment le déterminisme arrive nécessairement lui-même à la conception de la liberté : psychologiquement, il y arrive par la contradiction mutuelle en nous des diverses idées et tendances auxquelles répond la conception de divers possibles ; logiquement, il y arrive par la conception de son propre contraire ; métaphysiquement, il y arrive par la conception problématique de sa propre limite, qui serait en même temps la limite de la science positive et du monde phénoménal.
  4. L’ordre moral en soi se ramène nécessairement à l’ordre moral pour nous,