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ANALYSES ET COMPTES RENDUS


Noiré (Ludwig), Die lehre kants und der ursprung der vernunft, Mainz, 1889, in-8o.

Les deux derniers ouvrages de M. Noiré : l’Origine du langage, 1877, et l’Outil, 1880, avaient posé et en partie résolu le problème de l’origine de la raison. Le langage en effet suppose la faculté de former des concepts, c’est-à-dire la raison. Pour se servir d’un outil, il faut être capable de réfléchir sur le travail qu’on veut accomplir, de concevoir à la fois le but que l’on veut atteindre et les moyens dont il est convenable de se servir, il faut être capable de penser. Le problème de l’origine du langage et le problème de l’origine de l’outil sont donc inséparables du problème de l’origine de la raison. Mais il n’était pas inutile de réunir dans un livre nouveau les conclusions seulement indiquées dans les deux précédents. M. Noiré nous avait montré que pour parler et pour faire usage d’un outil il faut penser. Qu’est-ce donc, en dernière analyse, que penser et comment l’homme est-il arrivé à penser ? Tel est le double problème que M. Noiré se propose de résoudre dans le livre que nous analysons. En même temps, M. Noiré essayera d’établir l’accord de sa théorie avec la critique kantienne.

La philosophie, depuis Descartes, ne s’est guère préoccupée que de la première des deux questions posées par M. Noiré. Locke, Hume, Kant ont compris, et c’est leur grand titre de gloire, que la tâche véritable de la philosophie est d’analyser la connaissance humaine, de la décomposer en ses éléments, pour découvrir ce que c’est que la pensée. Kant le premier trouva le mot de l’énigme, lorsqu’il déclara, dans sa Critique de la raison pure, que toute connaissance suppose le concours de deux facteurs : la réceptivité des sens et l’activité de l’entendement. C’est seulement au xixe siècle que l’idée d’étudier génétiquement, c’est-à-dire dans leur évolution, les facultés humaines, a commencé à se faire jour dans la philosophie. Mais cette étude n’a encore été tentée que par l’école anglaise, au point de vue empiriste. M. Noiré pense qu’on pourrait l’entreprendre au point de vue kantien. De ce que la pensée comprend un élément à priori, il ne suit pas que homme ait toujours pensé comme il pense aujourd’hui. L’activité du sujet pensant a pu se dégager, pour ainsi dire, à un moment déterminé du temps. Rien n’empêche que la raison ait eu un commencement et ait subi une longue évolution pour devenir ce qu’elle est aujourd’hui.