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ANALYSES.l. noiré. Die Lehre Kants, etc.

ses premiers concepts. Le problème de l’origine de la raison se confond avec celui de l’origine des concepts.

Pour bien comprendre la nature de la raison humaine, cherchons, avec M. Noiré, ce qui manque à l’intelligence animale. Le chapitre intitulé Vernunft und thierischer Intellect, Raison et intelligence animale, nous paraît une des études les plus précises et les plus vraies qui aient jamais été faites sur l’intelligence des animaux. M. Noiré accorde à l’animal le pouvoir de former des représentations. L’animal possède donc une sorte d’entendement, c’est-à-dire les formes du temps, de l’espace et de la causalité (dont il n’a d’ailleurs aucun concept). Mais il est incapable de réagir sur ces représentations formées dans son esprit par les objets. La représentation ne se présente à la conscience de l’animal que si elle est excitée par des impressions venues du dehors. Jamais l’animal ne sera capable de la réveiller volontairement, en l’absence de son objet, ce qui revient à dire que l’animal ne peut pas penser à un objet qui ne frappe pas ses sens. Ainsi le singe peut bien s’enrouler dans sa couverture lorsqu’on la lui présente ; mais il est douteux qu’il soit capable, ayant froid, d’évoquer dans sa conscience la représentation de cette couverture si elle n’est pas devant ses yeux. M. Noiré se demande même si la mémoire de l’animal conserve, comme la nôtre, d’anciennes représentations, de manière que ces représentations puissent être réveillées par association d’idées. Le chien qui fuit à la vue du fouet ne se représente peut-être pas nettement l’usage que son maître peut faire de ce fouet. Il est plus probable que la vue du fouet agit directement non sur l’intelligence, mais sur ce que M. Noiré appelle, avec Schopenhauer, le Wille, la volonté de l’animal, c’est-à-dire que la représentation détermine immédiatement chez lui une tendance à fuir sans qu’il sache exactement pourquoi.

De l’impossibilité où se trouve l’animal de réagir sur ses représentations et de les reproduire volontairement, il résulte :

1o Que l’animal n’invente, ne crée rien. Car pour inventer, pour créer, il faut pouvoir se représenter un objet qui n’existe pas encore et faire de cet objet simplement conçu le but de son activité. L’animal exécute, il est vrai, certains travaux, souvent fort compliqués, mais on sait que ces travaux sont toujours invariablement les mêmes : aussi peut-on croire que l’activité par laquelle il les accomplit résulte d’une excitation irréfléchie, inconsciente peut-être, du « Wille », L’acte de l’insecte qui construit un nid est une sorte de fonction organique. Entre le travail de cette larve aquatique, qui se construit un fourreau avec des brindilles de bois et des coquillages, et la sécrétion par laquelle le limaçon se recouvre d’une coquille, il n’y a peut-être aucune différence radicale. Dans les deux cas c’est la volonté inconsciente de la nature qui agit.

2o Aucun animal ne se sert d’un outil ni d’un instrument. Il faudrait en effet pour cela qu’il fût capable d’évoquer volontairement dans sa conscience : 1o la représentation du but à atteindre, 2o la représentation