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implique une autre résistance qui s’exerce en sens contraire. Toutefois la résistance de la main est accompagnée de conscience ; dira-t-on que la pierre a conscience de résister ? Autant vaudrait introduire la conscience au nombre des facteurs élémentaires de l’évolution, ce qui exposerait à des difficultés invincibles. Mais si l’on refuse toute conscience à la pierre, que devient « l’analogie » en question ? La théorie du double aspect reste donc entière, au moins dans cette partie du système. Notons toutefois que la solution donnée par M. Spencer au problème du « réalisme » est loin d’impliquer une solution définitive du problème de la philosophie. Pour réaliser la synthèse universelle, il faudrait procéder avec plus de lenteur, De nous dire que l’analyse psychologique aboutit à l’unité de substance ou, ce qui revient au même à la thèse de l’Inconnaissable, cela ne peut suffire. D’abord, entre la thèse de l’Inconnaissable et celle de la persistance de la force, il n’est pas de lien analytique, quoi qu’en ait pensé l’auteur des Premiers principes. Ensuite, quand la psychologie donnerait gain de cause au principe de la conservation de la force, en devrions-nous conclure qu’elle confirme les corollaires soi-disant immédiats du principe ? La loi de l’évolution est un de ces corollaires. Selon M. Spencer, toute évolution est soumise aux conditions que l’on sait : — une intégration — de matière — accompagnée d’une dissipation — de mouvement pendant laquelle — la matière — passe d’une homogénité indéfinie et incohérente à une hétérogénéité finie et cohérente, et — pendant laquelle le mouvement retenu subit une transformation analogue.

Cela dit, il est aisé de voir que M. Spencer en use trop librement avec sa loi fondamentale. M. Guthrie, dans son premier travail sur la Formule de l’Évolution, nous a montré que cette formule est trop étroite s’il s’agit d’expliquer les phénomènes biologiques, et trop large s’il faut rendre compte des faits de conscience. Qu’il y ait dans l’évolution psychique intégration de phénomènes, progrès vers l’hétérogénéité, rien n’est plus admissible ; mais y a-t-il « intégration de matière » ? L’auteur des Principes de psychologie le conteste. D’autre part les phénomènes du monde organique n’exigent-ils aucun facteur additionnel ? peuvent-ils trouver leur raison d’être dans les sept conditions (il y en a sept, ni plus ni moins) explicitement posées dans la formule ?

L’étude des Principes de psychologie atteste chez M. Spencer un oubli partiel de ces conditions. L’étude des Principes de biologie à laquelle son adversaire va consacrer près de la moitié de son livre nous apprendra de quelle merveilleuse aptitude l’éminent métaphysicien fait preuve, quand il saute à pieds-joints par-dessus les difficultés, pour la plus grande gloire du système, et aussi, pour la plus grande confusion du lecteur.

M. Malcolm Guthrie, dans cette partie de son étude, s’est montré ce que nous le savions être, dialecticien consciencieux et exact, disputeur subtil, toujours à l’affût des équivoques, des ambiguïtés de termes. Il