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métaphysique ? C’est moi-même. Votre moi, c’est vous ; le moi de ce chien, c’est lui. Que sont maintenant ces sensations, que l’on s’est habitué à considérer à part, comme des phénomènes indépendants de moi, comme quelque chose d’extérieur qui viendrait se présenter à moi par accident, et que j’hésiterais à m’attribuer ou non ? Ce ne sont que mes manières d’être. Il n’y a donc pas à se demander pourquoi les sensations simples, me paraissent subjectives. Quand j’ai conscience de souffrir, ce n’est pas que je rapporte à l’idée du moi l’idée de souffrance, ou que mon moi s’attribue cette souffrance : c’est tout simplement que je souffre. Il n’y a là aucun problème à résoudre, mais un simple fait à constater.

Maintenant, pourquoi les sensations complexes me semblent-elles objectives ? À cette nouvelle question, je suis obligé de faire encore une réponse tout à fait naïve, comme il arrive quand on nous pose un problème qui n’en est pas un. — Si un enfant, voyant une vache dans un pré, vous demande ce que c’est que ce gros animal qui a des cornes, vous lui direz que c’est une vache ; mais, s’il insiste et vous demande pourquoi c’est une vache, que lui répondrez-vous ? Que cet animal est une vache parce qu’on l’appelle ainsi ; ou bien encore que c’est une vache parce qu’il a des cornes. Les deux réponses n’ont pas grand sens ; mais je vous mets au défi d’en trouver de plus raisonnables. — Je répondrai à peu près de même à la question qui m’est posée. Pourquoi une sensation complexe me paraît-elle être un objet ? Parce que ce que j’entends par un objet, c’est justement une sensation complexe. Vous m’accordez que les objets sont bien ce que je vous dis : il n’y a donc plus à me demander pourquoi ce que je vous dis serait un objet. Les deux notions d’objet et de sensation complexe étant identiques, il va de soi que ce qui est l’un est l’autre.

Peut-être, il est vrai, dans mon analyse de l’objet, ai-je oublié quelque caractère essentiel, en sorte que la définition que j’en ai donnée n’est pas réciproque. Le mot d’objet ne me suggère-t-il pas, outre l’idée des différentes parties qui composent le l’idée que ce tout est étranger à moi, ou, pour employer le langage reçu, l’idée de non-moi ? Et cette idée de non-moi, que j’ai négligée dans mon analyse, n’est-elle pas justement ce qu’il y a d’essentiel dans la notion d’objectivité ? Le problème, ainsi posé, peut se discuter, parce qu’il ne porte plus sur des mots, mais sur des faits ; et il vaut la peine d’être examiné avec attention, car il se posera de même à tout psychologue qui abordera l’étude de la perception extérieure. — L’idée d’objet est-elle identique à celle de non-moi ? ou bien, en d’autres termes, ne puis-je concevoir et connaître un objet sans le distinguer de