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entre une mélodie vocale et les grandioses mélodies qui se déroulent dans les symphonies des maîtres ? Je réponds : Entre la mélodie chantée par la voix et la mélodie symphonique, il y a des différences de degré, il n’y en a pas de nature, d’essence. À cet égard, M. Léon Pillaut a écrit quelques pages judicieuses auxquelles j’emprunterai ce qui suit :

« Haydn et Mozart déterminent et arrêtent définitivement la forme mélodique de la symphonie et du quatuor d’instruments à cordes ; avec eux, on peut la considérer comme achevée et parfaite. Le génie de Beethoven, tout allemand, commença une nouvelle phase ; il donna à la mélodie une intensité d’expression et un développement magnifique ; il suffit de citer le premier morceau de la symphonie en ut mineur pour rappeler ce qu’il a su faire avec un rythme de trois notes, qui n’est même pas un motif, et quelle mélodie gigantesque il fait surgir impétueusement de ce germe musical.

« Ce grand homme donna à la mélodie instrumentale des proportions beaucoup plus vastes ; son imagination dépassa le cadre dans lequel Mozart et Haydn s’étaient renfermés. Dans sa dernière et neuvième symphonie et surtout dans ses derniers quatuors, il en est sorti tout à fait[1]. »

Notons les mots dont se sert M. L. Pillaut pour faire ressortir les traits particuliers imprimés par Beethoven à la mélodie symphonique : « développement magnifique ; — mélodie gigantesque ; — de proportions beaucoup plus vastes ; — œuvre d’imagination dépassant le cadre des maîtres précédents. » Tous ces termes, substantifs ou qualificatifs, signifient un changement dans le sens de la grandeur ; aucun ne constate une modification quant à l’essence. Or cette essence, les considérations que nous avons déjà présentées et les citations que nous avons faites d’esthéticiens et de critiques éminents montrent qu’elle est ou chantante, et par conséquent vocale à un certain degré, ou accompagnante, et par conséquent au service d’un chant, d’une voix, d’un ensemble de voix.

À cet endroit de mon étude, il me semble entendre une légion de compositeurs, de critiques, d’exécutants, d’amateurs passionnés s’écrier en chœur : « Et le naturalisme musical, et le paysage instrumental, et la pastorale symphonique, et les harmonies marines, montagnardes, forestières, et le coloris enfin, que faites-vous de tous ces caractères si attrayants, si émouvants, de la musique moderne et du style romantique ? Est-ce que, par hasard, vous auriez

  1. Instruments et musiciens, p. 213-215.