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SOURIAU. — les sensations et les perceptions

de l’autre : l’organe, brutalement ébranlé dans toutes ses parties, ne me donne plus qu’une sensation résultante, qui par sa simplicité me paraît subjective. En sorte, comme on le voit, que le champ de la perception distincte est compris entre un minimum et un maximum d’excitation. — Cette observation nous met en état de résoudre assez facilement une question de psychologie fort délicate, celle des rapports de la perception et de la sensation. Est-il vrai de dire qu’elles sont en raison inverse l’une de l’autre, c’est-à-dire que la perception est d’autant plus nette que les sensations qui l’accompagnent sont moins intenses ? Je ne puis adopter cette théorie, car il m’est impossible de comprendre en quoi l’intensité de nos sensations pourrait nous empêcher de percevoir. Plus ces sensations seront intenses, plus notre perception sera vive et distincte. Quand bien même cette intensité s’exagérerait au point de devenir douloureuse, ma perception deviendra douloureuse, mais ce sera toujours une perception. Cette douleur que j’éprouve pourra être un motif qui me déterminera à me boucher les oreilles, à fermer les yeux, à écarter la main ; mais elle n’altérera en rien ma perception même. On dira peut-être que des sensations faibles me laissent libre de m’occuper de ce qui se passe en dehors de moi, tandis qu’une sensation très intense rappelle de force mon attention sur ce qui se passe en moi-même. Mais cette explication n’est qu’un cercle vicieux, car elle suppose justement ce qui est en question, à savoir qu’une sensation intense doit nous paraître subjective. — Toute la confusion vient de ce que l’on parle de l’intensité de la sensation, au lieu de parler de l’intensité de l’excitation. Rectifiez ainsi la formule, et tout est expliqué. On a raison de dire que la perception est moins nette quand l’excitation est trop forte ; mais, si la force de l’impression nous empêche d’aussi bien percevoir, ce n’est pas parce qu’elle augmente l’intensité de nos sensations, c’est parce qu’elle diminue leur nombre et leur variété. — J’admettrai pourtant la formule donnée plus haut, à savoir que « la perception est d’autant plus nette que les sensations qui l’accompagnent sont moins intenses », à la condition qu’on s’entende bien sur les sensations dont il s’agit. Veut-on parler des sensations qui sont essentielles à la perception et qui, à vrai dire, la constituent ? Alors je dis que, plus elles seront vives, mieux nous percevrons. Mais, si l’on veut parler des sensations subjectives qui accompagnent toujours la perception des objets, j’admettrai parfaitement que ces sensations, plus nuisibles qu’utiles à la perception, peuvent l’altérer et même l’étouffer complètement quand elles prennent une intensité trop grande. Prenons un exemple. J’appuie modérément ma main sur un objet rugueux, comme une