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Au contraire il est des invraisemblances pour lesquelles ce dédain sans examen n’est pas autorisé : il s’agit de faits qui nous paraissent invraisemblables, non parce qu’ils sont contradictoires avec les faits connus, mais parce qu’ils ne sont pas connus,

Il y a là une distinction fondamentale qu’il est nécessaire de bien établir.

Ainsi le fait que le soleil est plus grand que la terre est un fait absolument démontré : l’invraisemblance sera absolue, quand on viendra dire que le soleil est plus petit que la terre.

Mais il y a aussi des invraisemblances relatives. Par exemple qu’on vienne nous raconter qu’un ptérodactyle vivant a été découvert en Afrique. Le fait en lui-même sera d’une haute invraisemblance. Depuis les époques jurassiques, aucun ptérodactyle n’a vécu, ni aucun être analogue ; l’Afrique a été trop souvent parcourue pour qu’un oiseau aussi gigantesque ait pu échapper aux explorateurs, etc.

Cependant, quelle que soit la force de ces raisonnements, personne n’aura le droit à priori de nier qu’il existe en Afrique des ptérodactyles vivants. Si le voyageur qui raconte cela est véridique, et suffisamment versé dans les sciences naturelles pour que son opinion ait quelque poids, il faudra, sinon admettre que des ptérodactyles vivants existent aujourd’hui en Afrique, au moins, avant de nier, faire des recherches nouvelles, des tentatives consciencieuses pour infirmer ou vérifier ce fait, quelque invraisemblable qu’il paraisse d’abord.

Il s’agit donc là d’une invraisemblance par ignorance, et non d’une invraisemblance par contradiction. L’invraisemblance par ignorance n’est que relative. L’invraisemblance par contradiction est absolue.

Les exemples d’invraisemblance par ignorance sont extrêmement nombreux, et je vais en citer quelques-uns : car c’est le fond même du sujet que je traite ici.

Les nerfs agissent sur les muscles. Dire que les nerfs n’agissent pas sur les muscles, c’est énoncer une invraisemblance de contradiction ; partant qui ne mérite ni réfutation, ni examen. Mais que l’on vienne dire : l’aimant agit sur les muscles, le cuivre agit sur les muscles. Ce sera invraisemblance d’ignorance ; car rien ne nous autorise à nier qu’un aimant placé près d’un muscle soit sans action sur lui. Que savons-nous des propriétés de l’aimant ? Pourquoi n’agirait-il pas sur la fibre musculaire comme sur le fer ?

On dira : jamais nous n’avons rien constaté de semblable. Soit, mais au moins avez-vous démontré le contraire ? Placez-vous, si vous doutez, dans les mêmes conditions que celui qui a expérimenté, et alors vous pourrez conclure, autant qu’on peut le faire après une