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CH. RICHET. — la suggestion mentale

expérience négative. En tout cas, ne niez pas à priori. La science actuelle n’est pas assez avancée pour vous donner ce droit-là.

Si l’on était venu dire à Pascal : « je puis fixer à l’aide du soleil, sur une plaque métallique indélébile, la trace d’un mouvement qui dure un millième de seconde ; je vais faire entendre à Clermont, par plus de cent personnes, un opéra qu’on joue à Paris ; je vais montrer à un immense auditoire des oscillations d’un mètre d’une colonne de mercure, qui répondront aux changements d’électricité de la fibre musculaire d’un cœur de grenouille qui se contracte. » Pascal eût traité ces faits d’invraisemblables. Ils étaient certes invraisemblables ; mais invraisemblables par son ignorance.

Supposons qu’on n’ait aucune connaissance des propriétés attractives de l’aimant. Le voyageur qui, ayant rencontré une pierre aimantée, racontera qu’elle attire le fer provoquera assurément une indignation universelle. Comment l’aimant peut-il attirer le fer ? La matière attire la matière ; mais jamais telle matière plutôt que telle autre ? Pourquoi le fer, plutôt que le cuivre ou le plomb ? Si l’aimant attire le fer, il doit attirer aussi les autres métaux, ou tout au moins les sels de fer. Et puis l’aimant n’est pas un métal nouveau : c’est du fer avec de l’oxygène, et il n’y a en lui aucune substance chimique nouvelle. Comment voulez-vous qu’il possède une propriété nouvelle, aussi étrange que celle d’attirer les corps ? Si elle était véritable, on la connaîtrait depuis longtemps.

Tels sont les arguments qu’on-donnerait. On voit ce qu’ils valent. La propriété attractive de l’aimant est invraisemblable, tant qu’on ne la connaît pas ; elle devient vraisemblable, dès qu’on la connaît.

Tout ce que nous ne connaissons pas nous paraît invraisemblable. Mais il faut avoir la sagesse de se méfier de cette tendance à la routine. On est toujours tenté de dire : « ce fait est nouveau : donc il n’est pas. » En dernière analyse, c’est à cette induction enfantine que se ramènent tous les raisonnements qui établissent l’invraisemblance de tels ou tels faits.

On sait ce qui s’est passé lors de l’invention admirable du téléphone par G. Bell. Aux premières nouvelles qui en sont venues en France, on à cru à une mystification : et tels membres de l’Institut, — j’en pourrais citer un des plus compétents en matière d’électricité, — ont d’abord révoqué en doute la possibilité de cette belle invention.

Voici une pierre qu’on lance en l’air, et qui retombe. Cela ne m’étonne pas. Je sais depuis mon enfance, et tous les hommes le savent depuis leur enfance, que nul objet ne peut rester suspendu en l’air, et que tout ce qui est plus lourd que l’air doit tomber. Mais pourquoi ? Quelle est donc cette force mystérieuse qui attire les objets