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Autre fait. J’avais donné à la même personne au moment de m’absenter de Nancy, des jetons en lui disant : « Quand vous voudrez vous endormir, vous n’aurez qu’à mettre un de ces jetons dans un verre d’eau sucrée pour vous endormir immédiatement. » Comme je lui avais indiqué un moyen encore plus simple pour s’endormir, comme on l’a vu plus haut, elle laissa de côté les jetons. Un jour pourtant elle eut la curiosité d’en essayer, mais comme elle a fort peu de mémoire à l’état ordinaire, elle ne se rappelait plus du tout quel liquide elle devait employer. Elle essaya avec l’eau ordinaire, rien ; avec le vin, rien encore ; avec l’eau rougie, même résultat négatif ; avec l’eau sucrée, le sommeil se produisit immédiatement, comme je le lui avais suggéré. Il est bien certain que l’imagination n’a pu jouer là aucun rôle puisqu’elle n’avait aucun souvenir du liquide qui devait l’endormir et que tout s’est passé pour ainsi dire dans la coulisse et à son insu.

VIII

Quel est l’état mental de l’hypnotisé pendant son sommeil ? L’intelligence est-elle active et les sujets pensent-ils à quelque chose ? D’après ce que j’ai observé, je serais porté à croire qu’il y a un repos absolu de la pensée, tant que des suggestions ne leur sont pas faites. Quand on demande à un sujet placé dans le sommeil hypnotique, et j’ai fait cette demande bien des fois : À quoi pensez-vous ? Presque toujours on a cette réponse : à rien. Il y a donc un véritable état d’inertie ou plutôt de repos intellectuel, ce qui s’accorde bien du reste avec l’aspect physique de l’hypnotisé ; le corps est immobile, le masque impassible ; la figure a même une expression de calme et de tranquillité qu’elle atteint rarement dans le sommeil ordinaire. Il n’y a certainement ni rêves, ni pensées d’aucune sorte, car les sujets qui se rappellent si bien, une fois endormis de nouveau tout ce qui s’est passé dans un sommeil antérieur ne se rappellent rien d’un sommeil hypnotique dans lequel il ne leur a pas été fait de suggestions. Aussi contrairement à beaucoup de médecins, je regarde le sommeil hypnotique sans suggestions comme plus réparateur que le sommeil ordinaire, et d’après les observations que j’ai pu faire chez le Dr Liébault ou que j’ai faites par moi-même, une partie des effets thérapeutiques produits par l’hypnotisme doit être attribuée à ce caractère bienfaisant du sommeil provoqué. Je n’ai pas à insister ici sur cette question, que je ne mentionne qu’incidemment ; la seule chose importante au point de vue psycho-