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LECHALAS. — comparaisons entre la peinture et la musique

action est médiate, mais très réelle, car en parcourant tous les détails de l’attitude d’un homme, nous nous modelons, pour ainsi dire, sur elle. On peut nous objecter, il est vrai, que nous avons comparé le souvenir de la mélodie à la contemplation directe du dessin ; mais c’est une différence qui ne porte pas atteinte à l’analogie fondamentale que nous avons constatée. Du reste, le souvenir d’un dessin s’accompagne également d’impressions musculaires. En ce qui concerne l’audition musicale, le fait est plus douteux ; il nous paraît certain qu’on peut, à volonté, écouter une mélodie en la suivant ou non de la façon que nous avons dite ; mais il est plus difficile de savoir ce qui se passe en l’absence de toute volonté, parce que le seul fait de fixer l’attention sur ce phénomène est de nature à l’altérer profondément. Nous serions toutefois porté à croire à l’adaptation spontanée, car nous avons observé, après l’exécution d’un air qui nous avait vivement impressionné, que notre appareil vocal était soumis à une excitation nerveuse paraissant bien être la suite de profondes modifications antérieures[1].

Quoi qu’il en soit de ces questions douteuses, nous n’hésitons pas à affirmer une affinité esthétique étroite entre le dessin et la mélodie, qui résulte de la combinaison de la mesure et du rythme avec la hauteur variable des sons.

II. Couleur. — La question de la couleur nous met en présence de l’antinomie fondamentale qui nous a frappé dès l’abord : objectivement, la couleur répond exactement à la hauteur du son, mais les esthéticiens s’accordent presque tous à la rapprocher du timbre. Il est bien vrai que la hauteur du son a déjà son emploi, puisque nous en avons fait une partie intégrante du dessin musical ; mais un double emploi n’aurait rien d’absurde, et les esthéticiens, M. Sully Prudhomme en tête, ne se sont pas fait faute de lui en attribuer un Cher-

  1. L’édition française des Études sur le Langage de M. le docteur Stricker à paru, postérieurement à la rédaction de notre travail, complétée par un chapitre sur les représentations des sons musicaux, sous le titre Du Langage et de la Musique. Nous sommes heureux de trouver dans cette admirable étude, peut-être un peu trop systématique, des aperçus qui confirment bien les considérations précédentes. Il convient de savoir d’abord que M. Stricker distingue, dans nos sensations auditives, deux éléments absolument différents, les uns répondant aux sons que nous pouvons reproduire (hauteur, rythme et caractères articulatoires), les autres qui échappent à ce pouvoir de reproduction (effets harmoniques, timbre personnel d’une voix, timbres des instruments). Tandis que ces derniers donnent naissance à des images auditives, les autres donnent exclusivement ( ? naissance à des représentations motrices. « Ces dernières, dit M. Stricker, sont par rapport aux images sensorielles ce qu’est le dessin par rapport aux tableaux colorés. Les contours du dessin (dans le souvenir) sont cu eux-mêmes des représentations motrices, qui paraissent unies de la manière la plus intime à la couleur. C’est ainsi, dis-je, qu’il en est des mélodies et de 14 nuance des sons » (p. 155 et 166).