Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 20.djvu/155

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
151
LECHALAS. — comparaisons entre la peinture et la musique

entre les éléments acoustiques et optiques correspondants, entre les sons bas et les valeurs sombres.

Cette affinité esthétique est très curieuse à étudier d’un peu près : la propriété fondamentale des sons de hauteur différente consiste en ce qu’ils ont entre eux des relations dépendant du rapport entre les nombres de vibrations qui leur répondent, en sorte que deux sons quelconques, dont ces nombres sont entre eux comme 3 est à 2, par exemple, forment une quinte ; or il y a longtemps qu’on a observé un phénomène analogue en ce qui concerne les valeurs. Nous reproduirons à ce sujet un passage très caractéristique de Topffer, après avoir fait remarquer qu’il y emploie d’abord le mot couleur à la place du mot valeur, ainsi qu’on le reconnaîtra du reste facilement. « Une cause de variation, dit-il, d’où ressort ce qu’il y a d’arbitraire et de conventionnel dans limitation de la couleur, c’est que la vérité de cette imitation résulte plus encore de la parfaite valeur relative des teintes que de leur fidélité matérielle et absolue ; en telle sorte que deux baudets peints dans une gamme différente, tout en nous présentant réellement des teintes différentes, nous paraîtront également vrais. Si mon coloris est clair plutôt que sombre, fin plutôt que fort, de mon ton le plus clair à mon ton le plus sombre, je parcourrai, dans mon imitation, un nombre de tons intermédiaires tout aussi grand, tout aussi riche que celui qui, partant d’un ton clair moins élevé, descende aussi plus bas dans l’échelle des tons sombres et chargés.… Dans l’ensemble, la valeur relative des tons fait illusion sur leur différence…

« J’ai parlé de gamme. Les peintres s’entendent avec ce mot aussi bien que les musiciens, et à juste titre, car l’analogie est frappante ici entre l’échelle des tons et l’échelle des sons qui constitue la gamme en musique. Aussi je ne saurais faire mieux comprendre ce que je viens de dire sur deux copies différentes, et cependant égales en ressemblance et en mérite, que par l’exemple d’un chant musical qui, exécuté plus haut ou plus bas dans la gamme, constitue le même chant, quoique chaque son dont il se compose ne soit semblable dans les deux cas que par l’identité de relation avec les sons auxquels on l’associe, et non par le son qui lui correspond dans une autre octave[1]. »

La citation est un peu longue, mais elle nous paraît intéressante, car elle montre que, antérieurement aux travaux des psychologues allemands contemporains, on avait reconnu comme une vérité esthétique, que la loi des intervalles musicaux est applicable aux différences

  1. Réflexions et Menus Propos d’un peintre genevois, Livre III, chap.  16.