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entre les intensités lumineuses. Pour donner une rigueur scientifique à cette constatation, il suffirait de prendre deux lavis équivalents, bien qu’exécutés dans des tons différents, et de mesurer les quantités de lumière réfléchies par les parties homologues des deux lavis : ces quantités devraient être proportionnelles. On pourrait arriver ainsi à une démonstration de la loi de Weber et de Fechner, qui ne péterait pas le flanc aux objections soulevées par les méthodes de vérification usitées, lesquelles ont le défaut de n’être pas directes et de reposer sur des raisonnements toujours contestables., Hâtons-nous d’ajouter que l’on ne doit pas espérer arriver à une vérification rigoureuse : en thèse générale, nous sommes incapables de comparer nos sensations avec précision, et, si l’on arrive à le faire avec une rigueur presque mathématique, en ce qui concerne les intervalles musicaux, cela tient à une particularité physiologique exceptionnelle. Tout le monde sait en effet, depuis les travaux d’Helmholtz, comment, grâce au mécanisme des fibres de Corti, la moindre modification dans un intervalle musical change une sensation harmonieuse en une sensation discordante, ce qui établit une différence des plus nettes entre les sensations résultant de causes extérieures presque semblables. Or, les sensations des intervalles musicaux et les sensations rythmées jouissent seules de cette particularité, en sorte que l’appréciation de toutes les autres sensations manque de précision et comporte une confusion à peu près inévitable entre celles qui correspondent à des excitations peu différentes.

Qu’on ne prenne pas ce qui précède pour une digression étrangère à l’objet propre de notre étude, car nous trouverons à appliquer plusieurs des remarques que nous venons de faire. Mais revenons à M. Sully Prudhomme, dont l’opinion est assez voisine de la nôtre pour que sa discussion soit de nature à mieux préciser notre pensée. Voici en quels termes il pose la question de la hauteur du son et établit quel est son analogue optique. « Un son dont le timbre et l’intensité restent constants, dit-il, est susceptible d’une variation de hauteur.

« De même, une couleur déterminée, sous un éclairage constant, est susceptible d’une variation de vivacité ; on conçoit, en effet, une gradation continue depuis le rose le plus tendre qui confine au blanc jusqu’au maximum de concentration pour le vermillon tiré d’un même pain d’aquarelle, mais de moins en moins étendu d’eau.

« La vivacité ainsi définie correspond donc pour la couleur à l’acuité pour le son. Seulement, tandis que l’acuité n’est pas continue et que les notes sont séparées par des intervalles, la vivacité peut croître continûment, de sorte qu’il y a pour une même couleur une