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LECHALAS. — comparaisons entre la peinture et la musique

insensible, tandis que de très faibles altérations rendent impossible la substitution d’une note à une autre, tient évidemment aux différences entre les organes récepteurs ; mais nous ne savons pas comment on peut expliquer le fait incontestable que le choix des couleurs principales n’est pas arbitraire et que, par exemple, les trois couleurs primitives des peintres, le bleu, le jaune et le rouge, ont un caractère spécial qui les différencie des autres couleurs. Sans nous arrêter sur ces questions que nous ne saurions résoudre, nous remarquerons que, au point de vue esthétique, si l’on compare les couleurs aux notes, comparaison admissible et que nous avons vue faite par Eugène Fromentin, il y a une certaine affinité entre le timbre d’un son et la nuance d’une couleur.

IV. Résumé et conclusion. — En terminant une étude dans laquelle il est souvent difficile d’attribuer à chaque question importance qu’elle mérite, on éprouve le besoin de jeter un coup d’œil d’ensemble sur les points dominants. M. Sully Prudhomme n’a pas échappé à ce besoin, et voici en quels termes il résume ses conclusions : « Le choix et l’importance relative des tonalités correspondent au choix et à l’importance des timbres ; la distribution des lumières et des ombres correspond à celle des différentes intensités du son, et enfin la vivacité relative des sons à la hauteur relative des notes. » Nos observations ont le défaut de ne pouvoir se résumer sous une forme aussi simple et nous paraissent condamnées à choquer les esprits systématiques par la répétition de mêmes éléments appelés à correspondre successivement à plusieurs éléments de l’autre art.

La mesure et le rythme, avons-nous dit, répondent exactement au dessin, au point de vue purement objectif ; mais on obtient une affinité esthétique bien supérieure si on leur ajoute la hauteur du son, parce qu’alors l’organe vocal suit la mélodie comme l’œil suit le dessin. À un degré moindre, le timbre nous a paru répondre à la couleur, et, sur ce point, notre conclusion est conforme à celle de M. Sully Prudhomme. Mais nous attribuons à l’intensité lumineuse une importance bien plus grande qu’il ne le fait : non seulement, en effet, il y aurait, d’après nous, correspondance entre l’intensité lumineuse et l’intensité sonore, correspondance souvent renversée d’ailleurs, mais encore les valeurs sombres donnent à un tableau un caractère grave, de même que les notes basses ou graves le donnent à une composition musicale. Cette affinité, manifestée par le langage usuel, se trouve d’ailleurs confirmée par la loi de Weber et de Fechner, qui déclare applicable aux intensités la loi fondamentale des intervalles musicaux. Ces rapprochements sont assez d’accord avec les comparaisons les plus usitées par les écrivains d’art ; il y a lieu