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toutefois de remarquer que les comparaisons se font généralement dans un sens déterminé : on compare la mélodie au dessin et non le dessin à la mélodie, le timbre à la couleur et non la couleur au timbre, la valeur d’un ton à la hauteur d’un son et non la hauteur à la valeur. Ce fait s’explique par l’origine des comparaisons, qui est le besoin de rendre plus claire une notion obscure en la rapprochant d’une notion claire.

Le rythme et le dessin ont une grande affinité, mais on les compare peu, d’abord parce que le dessin est plus que le rythme, mais aussi parce que ces deux notions sont aussi claires l’une que l’autre et que, par suite, elles ne peuvent s’éclairer l’une l’autre. Au contraire, la mélodie, résultat de la combinaison ou du rythme et de la hauteur des sons présente un caractère complexe qui fait que l’esprit trouve un certain soulagement quand il constate l’affinité de cet élément complexe avec l’élément simple du dessin.

Quant à la notion de couleur, elle ne présente qu’une illusoire apparence de clarté, due à ce que nous nous dépouillons, pour ainsi dire, de nos sensations lumineuses pour en revêtir les corps, et maint admirateur lettré, mais sans culture philosophique, des poésies de M. Sully Prudhomme se sera sans doute demandé pourquoi il appelle les couleurs les mensonges des choses[1]. Mais, illusoire ou non, cette clarté produit son effet, et l’on se figure avoir substitué un terme clair à un terme obscur, quand on a glissé le mot couleur à la place du mot timbre.

Dans les deux cas qui précèdent, c’est la peinture qui offre le terme de comparaison ; nous allons voir maintenant les rôles intervertis. La hauteur ou la gravité d’un son s’estiment avec une précision beaucoup plus grande que la valeur d’un ton, et la série des notes forme un ensemble bien défini qu’on appelle une gamme : du moment donc qu’il y a affinité esthétique entre la hauteur et la valeur, on comparera volontiers la série des valeurs à la gamme.

Mais, lorsque deux termes correspondants sont de clarté égale, comme l’intensité lumineuse et l’intensité sonore, on est peu porté à les comparer, parce qu’on n’éclaircirait rien en le faisant. Si toutefois l’écrivain est peintre ou musicien, les sensations lumineuses ou les sensations sonores seront prédominantes en lui et lui serviront volontiers de termes de comparaison, en cas d’égalité objective. On ne s’étonnera pas, dès lors, de voir Mendelssohn écrire au sujet de l’Aurore du Guide : « C’est vraiment une composition à faire crouler les murs, tout cela fait un bruit, un vacarme étourdissants[2]. »

  1. Les vaines tendresses. Le Rire.
  2. Lettre du 20 décembre 1830.